Nous y voilà, après huit longues années d'attente, on a enfin l’occasion de pouvoir écouter le nouvel album de Modest Mouse. Enfin, je ne peux pas trop me plaindre car cela ne fait que quatre ans que j'ai découvert le groupe, je n'ai donc pas eu à attendre autant de temps que les fans qui ont écouté We Were Dead Before The Ship Even Sank lors de sa sortie. Mais quatre ans, c'est déjà bien assez long, surtout quand on adore un groupe et que c'est le premier album que l'on attende véritablement.
Pour ne rien gâcher, il m'arrive de considérer We Were Dead comme étant le meilleur album de Modest Mouse, et il m'était difficile de ne pas être curieux de voir la suite que le groupe pouvait donner à ce gigantesque disque de rock percutant et pas bien dans sa tête. Le résultat est à la fois évident, dans la continuité du précédent disque, mais subtilement différent, comme de coutume avec Modest Mouse (le seul véritable écart stylistique flagrant dans la carrière du groupe demeurant sans doute le passage de The Moon & Antarctica à Good News For People Who Love Bad News, soit la transformation du groupe en une machine commerciale à tubes bondissants - enfin d'après la version des fans hardcore qui ne se sont toujours pas remis de Lonesome Crowded West).
Bref, on ne peut pas dire que Strangers to Ourselves est un album surprenant, on est en terrain connu, et c'est peut-être pour cela que personne n'en a rien à foutre, si ce ne sont les blasés qui s'amusent à rejouer la rengaine du groupe qui s'est fourvoyé et ne pourra plus jamais retrouver l'intégrité de ses débuts. Ouais, c'est bien la seule chose que je peux concéder aux vieux encroûtés : inutile d'espérer autre chose qu'une continuité dans la pop horriblement communicative et débridée, et d'un certain côté, il faut avouer qu'il n'était peut-être pas nécessaire d'attendre huit ans pour nous pondre ça. Enfin chacun son rythme, mais cette longue période d'attente n'était pas le signe de la part du groupe d'une longue maturation et d'une réflexion profonde sur la voie à donner à sa musique. C'est juste un groupe de branleur qui prend plaisir à écrire des chansons et à prendre le temps pour le faire, et accessoirement à passer un certains temps sur les routes à faire des concerts.
Mais voilà, à part ça, il y a juste à accepter l'offrande de Modest Mouse et à prendre plaisir à écouter ces nouvelles chansons pétaradantes, débordantes de douce folie et d'une énergie outrancièrement contagieuse. C'est clairement ce qui me réjouit le plus avec Strangers to Ourselves, le groupe n'a pas perdu la formule magique de We Were Dead, ce rock, à forte consonance pop, mais foncièrement puissant, conquérant, viscéral, bardé de mélodies immédiatement accrocheuses, tout en empruntant des chemins de traverse, des structures bizarres, foutraques, bizarres, tel un musée des horreurs irrésistible, aguicheur, mais malgré tout trop dérangé pour être parfaitement honnête et si lisse et commercial que les mauvaises langues veulent bien le dire. De toute façon, quand une chanson est aussi démentielle que Lampshades On Fire que peut-on dire ? Comment peut-on résister ? On est obligé d'admettre la maîtrise du morceau pop/rock parfait.
Strangers to Ourselves n'atteint toutefois pas le sommet de folie excessive de We Were Dead, qui partait vraiment dans tous les sens et était beaucoup plus varié, plus nerveux et foutraque dans son expression de vitalité. On y retrouvait quand même des morceaux étrangement puissants comme March Into the Sea, Spitting Venom ou Parting of the Sensory à côté de douceurs comme Little Motel ou Missed the Boat. Dans Strangers to Ourselves l'ensemble est plus homogène, plus contrôlé d'une certaine façon, il y a finalement très peu de rupture stylistique ou atmosphérique, à quelques exceptions près, à l'image surtout de Pistol, un délire très particulier, même venant de la part de Modest Mouse. J'ai même eu peur que le groupe s'aventure sur un terrain aussi perturbant, presque électro hip hop bizarre, après un début de disque efficace et enchanteur comme il faut. Finalement, le groupe revient rapidement dans ce qu'il sait faire de mieux.
Plus que jamais Modest Mouse livre des chansons concises et efficaces, qui reflètent une certaine idée du rock indé qui (me) fait plaisir. Alors c'est sûr que si on essaye de dépasser la simple réjouissance auditive béate, pour un Lampshades On Fire fantastique (on n'est quand même pas si loin de Float On) ou un Pups to Dust euphorisant, on a un Wicked Campaign ou un The Best Room plus scolaires, ou disons trop appliqués. Oui, je cherche la petite bête, car il suffit la plupart du temps de se laisser porter par l'énergie toujours aussi intacte du groupe pour marcher à fond, et tomber d'admiration devant les arrangements qui illuminent même les morceaux les plus classiques, que ce soit les marimbas exotiques de Ansel ou les breaks oniriques de Be Brave contrastant avec la rage éructée des couplets et du refrain, sans oublier la guitare de The Tortoise and the Tourist qui repompe non sans un certain plaisir complice la stridence si particulière de The Whale Song.
Les morceaux originaux ou en tout cas plus singuliers et tranchants, outre l'excessif Pistol, sont plutôt à aller chercher du côté de The Ground Walks, With Time In a Box et Sugar Boats. On y retrouve un peu de l'énergie échevelée du précédent album avec des structures qui paraissent moins fluides mais qui n'en sont pas moins percutantes, que ce soit à travers le phrasé si bondissant d'Isaac Brock (j'adore les phrases chantées de The Ground Walks) ou des guitares un peu plus acérées et utiles dans l'atmosphère musicale. Les riffs et les lignes mélodiques bancals de ces deux morceaux sont typiquement du Modest Mouse. Sugar Boats est une de ces bizarreries clownesques à rebrousse poil dont le groupe s'est fait une spécialité depuis au moins Good News et ses morceaux freaks qui ne m'ont jamais trop emballés, sauf qu'ici le cirque déluré caricatural se transforme en fantastique morceau rock contagieux quand la guitare délivre son riff tortueux et parachève l'ensemble.
On reproche souvent à Modest Mouse une musique désormais trop produite ; ce n'est pas faux, les chansons fourmillent d'effets explosifs, d'instruments et d'ambiance dans tous les sens, mais c'est un plaisir auditif avant tout, un débordement de vitalité et d'idées qui répand des ondes positives et donne envie d'embrasser le monde, tout en réservant des couches de lecture qui rendent fascinant et intrigant le morceau le plus basique qui soit. Il est difficile de résister à cela, c'est un festival sonore ébouriffant, qui est soutenu par l'énergie pulsative du groupe, sans qui rien de tout cela ne pourrait tenir debout. Finalement la seule chose que je puisse regretter dans ce nouvel album, c'est le léger manque de transgression que le groupe tend quand même à perdre au fil des ans, il faut l'avouer. On l'avait néanmoins encore sur We Were Dead, sous forme de morceaux pop/rock un peu pétés du bulbe, mais sur Strangers to Ourselves la foutraquerie est bien plus sous contrôle. Il n'empêche que le plaisir de retrouver Modest Mouse est bel et bien là, ne serait-ce que pour finir sur une touche aussi sublime que Of Course We Know et avoir envie de se relancer l'album dans la foulée.