Pharoah Sanders – Tauhid (1967)
« Tauhid » est l’album suivant dans la discographie de Pharoah Sanders, c’est également son premier sur « Impulse », le label qui verra parmi ses plus belles œuvres, d’ailleurs « Tauhid » se range d’emblée dans cette catégorie. L’album a été enregistré le quinze novembre mille neuf cent soixante-six dans le mythique Van Gelder Studio, à Englewood Cliffs dans le New Jersey, on se souvient des musiciens de la Note Bleue, chargés dans des taxis, allant en caravane avec sandwichs et provisions, qui y descendaient, après avoir passé le pont, pour y enregistrer la crème des Blue Note.
La magie est encore là, sous les doigts de ces jeunes musiciens. Trois titres seulement, le premier sur la première face dure dix-sept minutes, il s’appelle « Upper Egypt and Lower Egypt » et est tout simplement magnifique, il est habité par une structure qui sera souvent utilisée dans les compositions de Pharoah. D’abord une longue introduction basée sur les rythmes et les percussions, transe hypnotique doucement induite, puis, passage de flûte et entrée du piano, accompagnée d’une première montée des tensions, puis arrivée explosive du ténor qui agit comme une déflagration. Ce ne sont là que des points de repères qui fonctionnent souvent assez bien.
Il est vrai que Pharoah joue peu ici, mais son esprit veille et préside au recueillement, et ce long travail préparatoire est juste magique, il prépare la suite qui sera belle, sereine et libératrice. Pour peu qu’on soit bien dans la musique, dedans, on peut même s’y sentir bouleversé, et ce ténor qui arrive après douze minutes et trente secondes, n’a aucun mal à faire chavirer les âmes. Même le chant ténu de Pharoah passe bien ici…
Mais il faut également souligner le talent et la notoriété des accompagnateurs, Sonny Sharrock est à la guitare, Dave Burrell au piano, Henry Grimes à la basse, Roger Blank à la batterie et Nat Bettis aux percussions. Soulignons également qu’outre le ténor, Pharoah joue de l’alto et de la flûte piccolo, il chante également.
La face B débute par le court « Japan » où précisément Pharoah déploie à nouveau ses qualités de chanteur. Il est intéressant de noter l’ouverture vers les autres cultures, le groupe s’inscrit en effet dans une trame musicale d’inspiration nipponne. Du folklore donc, mais il n’y a pas de hasard, Pharoah revient du pays du soleil levant et il a été ému par le respect qui lui a été porté.
Les titres suivants sont au nombre de trois et forment une suite d’un quart d’heure environ, bien qu’à l’origine ces trois pièces soient distinctes. Qu’importe, la suite est belle et laisse deviner les parties qui la composent. La première, « Aum » est très free, Pharoah joue de l’alto et dialogue férocement avec Sonny Sharrock, tandis que la rythmique se déstructure, laissant place à « Venus » le thème suivant, très lyrique, typique du son d’époque et de la musique à venir de Pharoah.
Il en est de même pour « Capricorn Rising », mais cette fois-ci dans un registre free pour l’introduction, puis arrive une nouvelle séquence très lyrique où le ténor, au timbre si intense et puissant, déchire l’espace et le temps, jusqu’au paroxysme et à la déchirure.
Un album majeur, un coup de maître.