L’amateur de shoegaze n’a que deux options face à ce disque. Il rend les armes devant tant de puissance sonore ou bien, il se met à gigoter comme un petit fou en s’imaginant Surfeur d’argent de la noisy pop.
Airiel a vraisemblablement mis à genoux les petits chanceux qui les avaient découverts via leurs excellents EPs. Ils n’inventaient certes rien, mais ils parvenaient justement à le faire oublier rien qu’avec la qualité de leur musique. Étant donné leur portée confidentielle, ils n’ont jamais eu la pression et ont pris leur temps pour sortir leur premier et, toujours, unique album. On est loin des années 1990 où l’impératif de temps et d’argent des labels mettait en difficulté des artistes trop concentrés sur l’élaboration de leurs chansons gorgées d’effets novateurs de guitares pour s’en soucier. Cette attente se révèle payante de toute manière : fini le revivalisme, Airiel passe aux choses sérieuses.
L’introduction mettant de suite dans le bain. Les Américains n’hésitent plus : cette fois-ci, ils touchent à l’électro. Un beat techno, une voix Japonaise et c’est parti pour se prendre un mur de son imposant jusqu’à l’apparition du ravageur « Thinktank ». Un morceau qui prouve que pour faire du grand rock alternatif noisy, il n’y a rien de plus simple : de l’énergie et des accroches mélodiques durables.
L’énergie, c’est au batteur qu’on l’a doit. On le savait doué, mais avec plus de possibilités pour faire parler la poudre, il est encore plus impressionnant. Toujours là pour placer un break surprenant (« Stay »), se montrer capable d’être groovy même submergé par un tsunami de guitares (« You Kids Should Know Better ») ou tout simplement enchainer les roulements redoutables (le terrible « Mermaid in a Manhole »). Quant aux accroches mélodiques, c’est toujours grâce au songwriting de Jeremy Wrenn. Très bon chanteur qui n’est désormais plus seul au poste car accompagné de Cory Osborne. Sa voix haut-perchée se révèle un bon contrepoint et un signe de variété dans leurs compositions.
C’est une des raisons qui font de The Battle of Sealand, un disque différent de leurs débuts. Bien plus agressif sur certains morceaux précis, à d’autres moments étonnamment mélancolique et aérien. Une manière de faire toutefois pas si éloignés de leurs premières œuvres et c’est ce qui en faisait un groupe inestimable. Planquer des mélodies vocales chatoyantes sous une pelletée de couches de grattes, ils le font très bien sur « You Kids Should Know Better » et son balancier rythmique irrésistible. Tout comme balancer de la power pop furieuse à l’image de « The Release ». Les tentations électro sont également plus que convaincantes puisqu’elles battent M83 sur son propre terrain ! Les magnifiques chœurs synthétiques de « Sugar Crystals » (avec l’excellent producteur Ulrich Schnauss en soutien) et l’électropop « Red Friends » (à la limite du Pet Shop Boys) en sont les plus beaux exemples.
Sans oublier la conclusion « The Big Mash-Up », mastodonte bruyant traversé de toutes parts de solo à la Sonic Youth, et la bouleversante ballade « Stay ». 6 minutes d’émotion pure. Son introduction est similaire au « Chrome Waves » de Ride… Jusqu’à ce que ce titre mute immédiatement vers une dream pop progressive à la Pale Saints. Une preuve éclatante qu’on peut faire une chanson bouleversante avec une voix aiguë et au bord de la rupture, sans être ridicule.
Malheureusement, The Battle of Sealand est une sortie sous-estimée. Peut-être parce que la voix limite criarde d’Osborne comme sur le tonitruant « Thrown Idols » n’a pas plu aux fans de la première heure. A moins que ça soit son poids sur le processus créatif qui était nettement plus important qu’auparavant. C’est pourtant ce qui fait la force de cet album. Là où d’innombrables disques shoegazing souffrent d’une uniformité pénible servant à dissimuler un manque flagrant de talent, Airiel compose un skeud dynamique, diversifié mais toujours armé de ce son unique et hallucinant qui fait la caractéristique de cette musique.
Qu’il est triste de constater que Jeremy Wrenn le renie à moitié car en désaccord avec les choix artistiques de son ex-acolyte Cory Osborne. Leur dernier EP paru annonce un retour aux sources cependant moins passionnant que ce qui se joue ici.
Parce que ceci est la trace d’un conflit entre deux fortes personnalités, une "bataille" comme l’indique si bien cet intitulé. Si les œuvres collectives sont souvent les plus passionnantes, elles le sont encore plus quand un conflit pousse chacun à se surpasser pour dépasser l’autre. The Battle of Sealand est un de ses plus éclatants résultats, puisque partagé entre la rage, la tristesse et une énergie lumineuse à la limite de la catharsis. Un chef d’œuvre probablement condamné à rester sans suite. Donc à chérir sans limite.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.