L'efficacité évocatrice d'un auteur comme Lovecraft provient en grande partie de sa capacité à maintenir ses description au delà du perceptible, des horreurs toujours vécues à travers des sens trop faibles pour en embrasser les contours, des esprits trop étriqués pour saisir le gigantisme de l'expérience de ses Grands Anciens.
Sa ruse littéraire tient à l'utilisation de ces fameux qualificatifs à la fois flous et évocateurs "indicible horreur", "inimaginable", des visions qui projettent le protagoniste au seuil de la folie.
L'expérience du lecteur n'est limité que par sa propre imagination, sa capacité à se laisser happer par le mystère, à craindre les monstres tapis dans les replis de l'obscurité, les horreurs à la périphérie de la vision.
Inade, avec The Crackling of the Anonymous en particulier, réussit à invoquer des entités titanesques à la croisée des machines infernales et de l'organique putride. On ressent à l'écoute de cet album ce souffle épique, ce fumet d'angoisse qui habiterait un personnage lovecraftien à la découverte de la Citée Endormie.
Mais l'analogie avec Lovecraft est réductrice en un sens, bien qu'efficace en tant qu'image, car les univers d'Inade plongent leurs racines dans un ésotérisme sombre et bien réel, des mondes psychédéliques infernaux arpentés par Pynchbeck sous DPT, les mythes archétypaux originels, dépassent la fiction pour danser avec Aleister Crowley, Robert Anton Wilson, les expériences magickes de Coil, Throbbing Gristle, Nurse With Wound et autres, les voyages de Grant Morrison dans les replis de The Filth, tout ce vertigineux corpus à la lisière du réel, sa limite externe.
Très rares sont les oeuvres aussi évocatrices, au delà du narratif, offrant de véritables sensations d'immersion dans des architectures sonores impies, qui nous entrainent inexorablement dans les replis d'un univers peuplé d'entités menaçantes qui se déplacent avec lenteur et puissance, ébranlant le temps et l'espace sur leur passage.
Inade offre avec cet album un au delà du langage terrible, intense, et arpente des univers que les mots ne peuvent que maladroitement tenter d'indiquer.
Brian Eno, avec son magistal On Land, nous emmenait dans les contrées brumeuses et mystérieuses de Dunwich, Inade nous projette au delà du Seuil, où seul survivent les Dieux anciens et démons atemporels, behemoths à la lisière du rêve et de l'éveil, au delà de la chair et du temps.