Lâcheté et mensonges
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le 29 nov. 2019
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"Distance Is the Soul of Beauty" nous avait rappelé l’année dernière l’importance de Michael J. Sheehy, auteur compositeur anglais – et d’origine irlandaise, il y tient – dont les précédentes incarnations, en particulier en leader de Dream City Film Club avaient convaincu la critique, mais guère le grand public. Quand on a la chance de parler à Michael, on découvre que son image passée de rocker tragique de tous les excès a dissimulé un homme de grande culture musicale, un passionné de toutes les musiques « essentielles » pour l’âme, comme le Blues, la Soul, mais également les folklores traditionnels. Pour Michael, il est évident qu’il ne s’agit pas, justement, de respecter la tradition de ces musiques, mais d’y rechercher une sorte de vérité qui soit éternelle, ou tout au moins qui fasse écho à nos préoccupations, nos souffrances même, contemporaines.
Ce nouvel album, "The Crooked Carty Sings…", disponible pour le moment uniquement sur Bandcamp (mais qui devrait être mis en ligne sur les plateformes de streaming en 2022), est quelque chose qu’il dit « avoir voulu faire depuis longtemps, dans une logique qui est la même que les réinterprétations de Blues et de Gospels réalisées avec Miraculous Mule » (l’un de ses projets parallèles…) : Michael parle d’une « collection de chansons folkloriques, de ballades meurtrières, de mélodies de voyageurs et de chansons de marins bâtardisées ». Ajoutons, pour être clairs, qu’il ne s’agit pas là d’un album d’expert pointu ou d’historien consciencieux, mais bien d’une appropriation sans fausse honte de morceaux traditionnels, dont certains peuvent être même considérés comme des classiques, – pour la plupart irlandais -, dont il a même souvent gardé les mots mais réinventé les mélodies. Et de toute manière, a-t-il ajouté lorsque nous lui avons parlé il y a quelques jours : « Je ne suis pas un archiviste, juste quelqu’un qui veut jouer ces chansons à ma manière. Je ne suis même pas un chanteur folk, je suis plutôt un… crooner ! ».
La première chanson du disque, l’une des plus célèbres, "Green Grow the Laurels" (reprise des centaines de fois, et en particulier par Sandy Denny) est une superbe entrée en matière : dans une ambiance recueillie et émouvante, très proche de celle de "Distance Is the Soul of Beauty", un drone de guitare, et la voix toujours aussi touchante de Sheehy (le crooner, donc, puisqu’il se définit ainsi, et on ne peut s’empêcher de retrouver à nouveau des correspondances avec la musique de Richard Hawley). "Blow the Candle Out", un texte traditionnel chanté sur une suite d’accords composée par Michael, s’élève au contraire vers la lumière, avec un lyrisme apporté par la guitare électrique volubile et par la voix féminine de Suzanne Rhatigan, une vieille complice musicale de Michael.
On retrouve Suzanne en duo avec Michael sur le dialogue de séduction pour le moins fougueux, voire brutal (« I wish to see you laid in your coffin with satisfaction wrote on your shroud », soit « Je souhaite te voir couché dans ton cercueil avec le mot « satisfaction » écrit sur ton linceul ») de "Phoenix Island". Michael dit interpréter le morceau dans l’esprit de Mary McCarthy, une voix traditionnelle de la musique des « Irish Travellers », ce peuple nomade irlandais dont est issu son père. Il nous confie aussi que « Mary McCarthy est en fait de [sa] famille, puisqu’elle est la grand-mère de [son] cousin… ». Dans le même esprit de regard sur ses origines, puisqu’il s’agit d’une autre chanson de McCarthy, "What Will We Do When We Have No Money" parle de la nécessité pour une jeune femme de se prostituer pour subvenir aux besoins de son couple !
"Am I Born To Die ?", complainte solennelle sur fond de drones, que Michael a découvert chez Doc Watson, et "Lily of The West", reprise en particulier par Dylan, nous amènent à la double majestueuse conclusion de l’album : "What Put the Blood", chanson de vendetta aux amples accents soul, et surtout les éblouissantes 7 minutes de "Love Is Kind to the Least of Men", complainte de marin au texte d’une simplicité et d’une splendeur saisissantes… Le morceau dont Michael reconnaît qu’il est « le plus proche thématiquement de [son] travail [à lui], reconstruit à partir des paroles sur une mélodie composée à l’occasion… », dont il admet qu’elle « provient peut-être d’autres sources ».
Sur la question de la disponibilité d’un album aussi abouti, pour le moment limitée à Bandcamp, Michael explique que « la situation actuelle avec la pandémie est très difficile pour les artistes, et Bandcamp est une bonne manière de faire un minimum de business dans ces conditions, alors qu’il y a peu de possibilités de tourner et que les usines de pressage de vinyles annoncent une attente de 6 à 10 mois ! ».
Néanmoins, "The Crooked Carty Sings…", sorte de frère bâtard de "Distance Is the Soul of Beauty", composé et interprété dans des circonstances similaires – l’isolement artistique créé par le confinement, puis les difficultés matérielles -, est un album d’une telle qualité qu’on ne peut qu’espérer qu’une version physique en verra le jour en 2022. Mais de toute manière, on sait aussi qu’il s’agit d’une nouvelle étape de maturité pour Michael J. Sheehy, ce qui nous laisse attendre aussi un prochain album de compositions personnelles encore meilleur.
[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/12/27/the-crooked-carty-sings%e2%80%8b-%e2%80%8b-%e2%80%8b-michael-j-sheehy-a-la-redecouverte-de-ses-racines-irlandaises/
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Créée
le 28 déc. 2021
Critique lue 58 fois
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