Voyage au bout de l'intime
Il existe deux types de décors : ceux faits main, avec un jeu de maquettes et des reproductions tangibles d’environnements qu’on pourrait retrouver hors de la fiction cinématographique, et le CGI ; les effets spéciaux, les environnements recréés par ordinateur avec foison d’écrans verts. Un décor fait-main peut suer le carton-pâte, au même titre qu’un CGI pourra ressembler à une bouillie numérique sans saveur. L’album de dark-ambiant (genre éminemment cinématographique) The Dead Sea de John Twells aka Xela a choisi son camp : l’artiste immerge l’auditeur dans une bulle aux constituants bien organiques.
Pour cela, Xela s’attache à retranscrire un environnement étrangement familier. Cliquetis métalliques, percussions incongrues, bruit de pas dans la paille, son du crayon frénétique sur la feuille de papier ou de la roue de bicyclette qui tourne dans le vide, et de nombreux autres bruits étouffés rappelant à s’y méprendre ceux du quotidien. De la même façon dont on planterait un décor, Xela introduit là des sons familiers intégrés comme cœur de ses compositions, tels des cadres cinématographiques. La force évocatrice des morceaux dépend de notre histoire personnelle, à ce que celle-ci nous renvoie. Le voyage intenté est d’autant plus fascinant que Twells se met en tête de pervertir cet environnement personnel qu’il a si minutieusement agencé. Que ce soit dans le rythme claudicant des percussions ou dans le danger invisible des drones mortifères, chaque piste n’est pas sans contenir sa part de menace plus ou moins voilée. Métaphoriquement c’est un peu comme si on revenait dans la maison de nos grands-parents abandonnée depuis des lustres ; tout y est à sa place, mais détérioré, les pièces vides sont comme hantées par le souvenir d’un temps définitivement révolu, et ce n’est plus son enfance qu’on y retrouve mais l’angoissante promesse de sa propre finitude.
The Dead Sea est donc « fait-main », tant est centrale l’utilisation d’objets réels dans la composition. Les effets électroniques, tels les drones, sont relayés en arrière-plan pour mettre en relief ces bruits du quotidien. La constitution organique du « décor » intimiste de John Twells rend le voyage de l’album intérieur ; l’auditeur ne peut qu’être personnellement impliqué dans un tel paysage évocateur. Faites votre propre film.