Lâcheté et mensonges
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le 29 nov. 2019
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2023 : on fête les 20 ans de The Fine Art of Self-Destruction, le premier album de Jesse Malin. « Quel album ? De qui ? », allez-vous demander, on est prêts à le parier ! Mais, aucun souci, 20 ans, ce n’est pas grand-chose à l’échelle de l’histoire du Rock, non… Et il vaut toujours mieux découvrir tardivement un artiste quand il est encore vivant que d’attendre qu’il apparaisse dans la rubrique nécrologie – désormais bien fournie, malheureusement !
Bon, on vous explique : Malin, c’est évidemment un New Yorkais (ce qui se reconnaît dès les premières notes de la première chanson de l’album, Queen of the Underworld), c’est une sorte de disciple maigrichon et sans muscles bodybuildés de Springsteen : il a d’ailleurs fait une reprise du Hungry Heart du Boss, et ce dernier est venu donner un coup de main pour la chanson Broken Radio en 2007. Mais, Malin, c’est aussi ce type qui a débuté sa carrière musicale dans Heart Attack, un groupe de punk hardcore, ce qui lui garantit une vraie aisance quand il s’agit de pousser la voix sur des guitares qui vont vite et font du bruit (sur Wendy, par exemple). Avant d’œuvrer en solo, il a aussi été le frontman d’un groupe de glam punk célébré aux US mais trop connu par ici, D Generation (« D Gen », pour les intimes). Bref, après ces débuts turbulents, la trentaine bien entamée, Jesse a décidé de passer à des choses plus sérieuses – mais pas trop sérieuses, rassurez-vous – en écrivant et chantant des trucs qui racontent sa vie new-yorkaise. Il est évident qu’après quelques années dans le punk rock, Jesse avait de toute manière des choses à raconter sur le « bel art de l’autodestruction », ce qui rend cet album intouchable en termes de « street credibility », soit un vieux concept rock’n’roll dont tout le monde se moque aujourd’hui, mais qui, au tournant du XXème siècle, voulait encore dire quelque chose…
Prenez, au hasard (bon, pas vraiment au hasard…), la chanson Brooklyn : difficile de ne pas ressentir pleinement l’émotion, ou mieux encore car c’est plus rare, la CONVICTION qui se dégage de la voix de Jesse… Difficile de ne pas partager cette vision tragique de la destinée humaine, difficile même de ne pas avoir envie de recommander ce disque à tous les gens qu’on aime… Et puis il enchaîne sur la chanson éponyme, The Fine Art of Self-Destruction, que certains vont jusqu’à traiter de mini chef d’œuvre, et qui risque d’entrer rapidement (pas besoin de beaucoup d’écoutes pour ça…) dans votre liste personnelle de chansons « mineures », mais importantes pour vous.
Personnellement, on a tendance à préférer Riding on the Subway, avec son atmosphère tellement urbaine, tellement symboliquement new yorkaise qu’on saisit combien Malin contribue, et continuera à contribuer à perpétuer l’imaginaire noir et romantique de la Grosse Pomme : la manière dont les rythmes latinos et la guitare électrique se mêlent pour élever une mélodie lumineuse au-dessus des caniveaux, pardon, des lignes de métro, est tout simplement magnifique.
L’album n’échappe pas au syndrome du ventre mou, avec quelques titres plus dispensables dans sa seconde partie. On peut aussi froncer les sourcils sur ses vocaux inutilement forcés sur la balade déplumée de Solitaire : rien de dramatique, mais cela nous empêche de coller l’étiquette facile du « chef d’œuvre méconnu ». Mais cela ne nous empêche pas, en revanche, de savourer l’élégance lyrique de Malin, habile créateur d’images, pas forcément toujours claires, mais tellement frappantes. Son « You say you want a revolution / Something you can touch / Like an age old contradiction / With alcohol and lust » (Tu dis que tu veux une révolution / Quelque chose que tu puisses toucher / Comme une contradiction avec l’âge / Avec de l’alcool et de la luxure) sur Queen of the Underworld constitue une ouverture impeccable pour un album aussi empreint de nostalgie, de mélancolie, de remords et de regrets. Et puis, sur The Fine Art of Self Destruction, comment ne pas aimer un type qui chante : « I’m an old whore / In a thrift store / Looking for something black / Like a bad dream when you come clean / Hoping that you’ll come back » (Je suis une vieille pute / Dans une friperie / À la recherche de quelque chose de noir / Comme un mauvais rêve quand avoues tput / En espérant que tu pourras revenir...) ?
Et puis, quand même, quelle superbe histoire d’amour – amour d’une femme, amour d’une ville, amour de la vie, aussi rude soit-elle – que ce Brooklyn : « You started out with nothing but lonely days / You used to like the sad songs of doom and gloom / You started with nothing but throwaways / You couldn’t live with me so you moved to / Brooklyn » (Tu as commencé avec rien d’autre que des jours solitaires / Tu aimais les chansons qui parlaient de malheur et de tristesse / Tu as commencé avec rien d’autre que des déchets / Tu ne pouvais pas vivre avec moi alors tu as déménagé à / Brooklyn) ! Malin a d’ailleurs expliqué que « Brooklyn parle des débuts, de ces premiers jours d’innocence et de grands rêves qui se heurtent souvent à des erreurs et des regrets irréversibles. Nous essayons de trouver des moyens d’accepter nos erreurs et de regarder en arrière en sachant en rire, pardonner, et surtout aimer… ».
The Fine Art of Self-Destruction ressort aujourd’hui assorti d’un disque bonus contenant des versions différentes des chansons. Intéressant pour les collectionneurs, certes, mais, pour nous, l’album original tient suffisamment bien la route 20 ans plus tard pour ne pas avoir besoin d’argument Marketing supplémentaire. La vraie bonne nouvelle, c’est que Malin sera en tournée pour interpréter l’intégralité du disque : à 56 ans, on peut parier que son amour pour New York et son goût pour les histoires de « beautiful losers » n’ont pas changé.
[Critique écrite en 2023]
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Créée
le 10 févr. 2023
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