Milk & Honey
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le 17 oct. 2013
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« Dragon Soap » qui s'entame. Une voix frêle qui murmure... one two three four... une guitare acoustique qui développe des accords brumeux tandis qu'une grosse claire au beat lent et sourd et un vague tambourin annoncent une humeur aussi douce que migraineuse, comme une gueule de bois de matin calme. Ce qui frappe, dès les premières secondes de The Light, c'est cette proximité. Soft Fangs a installé ses micros au plus près des instruments. Si bien que chaque murmure s'insère insidieusement sous la peau comme un liquide froid qui s'écoule dans nos veines, chaque râle racle contre l'épiderme, chaque coup de grosse caisse fait battre le cœur tandis que la moindre irruption de cymbale est telle une douche fraîche. L’appellation musique intimiste aura rarement été aussi adéquate. Une proximité presque envahissante, le genre qui peut facilement engendrer un pas de recul chez l'auditeur pudique au premier abord, mais qui cesse vite d'être promiscuité dès lors que Soft Fangs nous prend à bras le corps pour nous faire décoller.
C'est que dans une telle configuration, avec la musique au plus près des tympans, le moindre changement devient très significatif et peut tout faire basculer en un instant. Ainsi la sus-citée « Dragon Soap », comme les meilleures chansons d'Elliott Smith, finit après un couplet mal réveillé par s'extraire de son engourdissement sur un refrain solaire qui respire le premier rayon de soleil de la journée. Comme de se réveiller d'un lendemain de cuite avant de se rendre soudainement compte qu'on est dimanche et qu'on a toute la journée pour s'en remettre (et la journée sera belle). Et des petites trouvailles comme ça qui réchauffent le cœur et permettent à The Light de rester toujours pertinent et de ne jamais abuser de sa nonchalance (leçon que devrait tirer un bon nombre de groupes "indie" qui se reposent trop sur leur posture de branleur), le disque en regorge. Ainsi lorsqu'on enchaîne sur « The Air » avec une guitare saturée et massive digne des envolées de la grande époque du shoegaze, on se retrouve avec l'impression de nager dans un épais torrent de magma au sein duquel ne nous parvient qu'un mince filet de voix qui suffit néanmoins à émouvoir au cœur de la bourrasque. J'en passe et des meilleures, à partir d'ici c'est à vous de les découvrir par vous-même.
La seule véritable faiblesse de Soft Fangs sur ce disque vient avec sa plus grande force : la carte de l'intime, de la proximité extrême avec l'auditeur est à double tranchant. Il peut arriver au long du disque d'être passablement agacé par les râles renouvelés de John Lutkevich (chanteur et leader du groupe) d'autant plus qu'il est difficile d'en faire abstraction ; et de manière générale il s'avère délicat de maintenir une telle absence de distance sur plus d'une demi-heure d'album tout en maintenant un niveau constant d'intensité émotionnelle. Les quelques pistes notamment qui préfèrent l'usage d'une boite à rythme à celui, plus humain, de la batterie, sont un poil en dessous des autres. Mais fort heureusement la piste éponyme, qui conclut l'expérience, est si belle qu'elle est à même de gommer n'importe quel petit défaut éprouvé auparavant... de quoi se dire au revoir sur la plus belle impression qui soit.
La pochette montre un John Lutkevich enfant, peut-être en train de fêter son anniversaire, et le bandcamp du groupe indique que la photographie a été prise par son père. On tient peut-être là, dans un mouchoir de poche, toute l'identité de ce disque, qui ressemble en effet au murmure rassurant d'un père à l'oreille de son fils. Un père qui lui chuchoterait tendrement des encouragements en lui promettant une belle vie par des refrains résolument solaires et optimistes. Sur The Light, John semble avoir voulu retranscrire la nostalgie d'une époque où un coup de pouce paternel était tout ce qu'il fallait pour avancer dans la vie.
Et sinon pour ceux qui seraient peu enclins à la métaphore (ou qui vouent une aversion aux thèmes développés dans le cinéma de Jeff Nichols), tout ce qu'il y a à savoir c'est que la musique de Soft Fangs est à conseiller à quiconque serait curieux d'entendre à quoi peut ressembler un héritier spirituel d'Elliott Smith dans le coltard.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Je t'ai donné la vie... mais on ne m'a pas donné le droit de te la reprendre, 2016 en musique depuis ma chaise avec mon fez et mon regard de braise. et Les meilleurs albums de 2016
Créée
le 29 mars 2016
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Cette citation n'est pas de moi, c'est Saitama lui-même, principal protagoniste et « héros » de One-Punch Man, qui la prononce après un énième gros vilain dûment tabassé d'un seul coup...
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On pourrait être tenté, à l'approche de la musique de Murmuüre, de ne parler que de Black Metal. On pourrait amener, à la simple écoute des guitares poisseuses et saturées ou bien des - rares -...
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