Air Studio. 1982. Ian Craig Marsh à Martyn Ware :
« T'as vu le succès qu'il a Phil avec son « Dare » en ce moment ?
-Roh, fous-moi la paix... ne parlons pas de ça, tu veux !
-Surtout qu'on a demandé seulement 1% de ses ventes...
-Bon ! On se remet au travail !? On a quand même été disque d'or ! C'est que c'est pas mauvais ce qu'on fait ! On pourrait facilement battre Phil sur son propre terrain !
-Comment ?
-Ne changeons rien... Je suis sûr que le succès finira par arriver... »
Et c'est précisément ce qui arriva avec l'album « Luxury Gap », dans l'exact continuité du précédent, plus grand succès du groupe avec une quatrième place dans les charts anglaises et le single « Temptation » arrivant à se classer second, faisant l'effort de détrôner le « Fascination » d'Human League. Pourtant, je suis loin de le trouver bon ce « Temptation », beaucoup de choses me gênent dans ce tube, que ce soit ce début trop brusque ou l'arrivée de la voix de Carol Kenyon sur les refrains. Même si les arrangements finissent par être plus percutants dans sa deuxième partie, notamment grâce à l'aide d'un orchestre dirigé par John Wesley Barker que l'on retrouve sur « Come Live With Me », j'ai parfois l'impression de vides ou d'accords discordants avec le chant. Mais bon, aidé par un clip messianique à l'esthétique expressionniste allemand, « Fascination » restera le single le mieux vendu du groupe. Enfin !
J'ai une préférence pour les trois autres singles extraits de l'album. « Let Me Go », le tube le plus connu du groupe est aussi celui dont ils avoueront être les plus fiers. S'il n'a rien de particulier dans sa première moitié (outre sa bass tirée du fameux Roland TB-303, à l'origine de l'Acid House), c'est par ses « Dabododabodabodabodab » entonnés en chœur dans sa deuxième moitié qu'il révèle toute sa puissance pop, relevant alors aussi bien le niveau du refrain que du couplet. Sur un rythme légèrement plus lent, « Come Live With Me » s'inscrit dans une veine romantique que l'on retrouve souvent dans le mouvement Synthpop ; mélodies et arrangements simples et imparables, un des grands moments de l'album avec « Crushed by the Wheels of Industry ».
Ce dernier single tiré de « Luxury Gap » est bien plus intéressant dans sa version album, mettant plus en avant ses samples “industriels” en guise de snare, son piano typiquement 90's sur la deuxième venue du refrain, refrain qui n'est pas sans nous rappeler la joyeuseté d'un Tom Tom Club, en opposition aux “Work ! Now” lancés par Glenn Gregory comme n'importe quel patron d'entreprise. On reste d'ailleurs sur le même univers que “Penthouse and Pavement" dans les clips minimalistes tournés pour l'album : critique du capitalisme, uniformisation des masses, déshumanisation qui arrive à son paroxysme dans “Let Me Go”, où notre mode de vie semble avoir entraîné l'apocalypse, le groupe survivant se baladant dans un monde vide et dévasté en noir et blanc. Quant aux images de “Come Live With Me”, elles mettent en scène de façon très 80's et désordonnée l'Amour impossible entre un quadragénaire et une jeune étudiante, unis par un oeuf.
Gardons également de cette galette le disco de “Who'll Stop The Rain”, sorti en Maxi aux States avant “Temptation” et passé complètement inaperçu, malgré ses p'tits “Fire, fire, fire” (oui, il m'en faut peu pour aimer un titre) ainsi que le rythme et l'ambiance électrique de “We Live So Fast”, également single oublié dont le clip se déroule dans et autour d'un avion. Le reste est plus oubliable mais tout de même à écouter, que ça soit pour l'utilisation faites des cuivres sur “Key To The World”, le mysticisme symphonique donné sur “The Best Kept Secret” sans oublier les expérimentations jazzy jouées sur “Lady Ice and Mr Hex”, qui invente sur ses refrains dix piges à l'avance, ce que sera la Dance des années 90. Rien que ça !
Si le son et l'image du groupe ont été créé sur “Pavement & Penthouse”, c'est avec “Luxury Gap” et sa pochette ironique qu'ils les imposeront au monde entier. Vendu à plus de trois millions d'exemplaires, ça reste à ce jour le plus gros succès du groupe, et à raison ! Ces deux premiers LPs sont novateurs et prophétiques (tout comme les trois premiers Human League) de ce que ce sera la musique électronique des années à venir. Heaven 17 perdront de cette influence à partir du moment ou d'autres groupes synthpop reprendront le flambeau et que leurs expérimentations ne deviennent plus que banalité dans la production des années 80. Et en même temps, c'est toujours comme ça que la musique évolue. A écouter histoire de prendre la température avant la relève Depeche Mode.
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