Ils se sont longtemps battus pour procéder comme ils l’entendaient et ils ont réussi.
Ils voulaient l’indépendance ? Ils ont fini par l’avoir. Après un bref passage chez Universal, Curve sort désormais son dernier album lui-même. Uniquement disponible sur son site Internet, donc complétement détaché du circuit des majors.
Bon, on aura beau pleurer sur le fait que la chance ne soit jamais trop accoquiné avec les Anglais, il faut tout de même admettre qu’ils cherchaient vraiment à tout faire pour ne pas avoir de succès. C’est à croire qu’ils étaient soit élitistes, soit courageux ou bien totalement naïfs… Peut-être même les trois en même temps, allez savoir.
L’avantage avec ce genre de démarche, c’est qu’on ne se met pas la pression et cela peut être bénéfique artistiquement parlant. Le duo va donc se faire plaisir avant tout et ne pas faire dans la facilité en refaisant un second Gift.
Si le groupe n’a pas énormément chamboulé sa recette (très personnelle) depuis ses débuts, il a toujours cherché à évoluer vers une musique de plus en plus électronique. Son son s’est grandement aéré depuis, mais la volonté de créer de belles textures recherchées est toujours d’actualité, quitte à mettre de côté les guitares.
« Answers » met de suite dans le bain. C’est énergique et bien produit comme pouvait l’être le précédent album, mais il y a aussi un détail différent : c’est bien plus froid et ambiancé. Malgré des paroles simplistes (ce qui peut surprendre car elles sont plutôt cryptiques d’habitude), le groove technoïde de ce titre séduit immédiatement et prouve une nouvelle fois que Curve peut se passer de son mur de guitares acérées.
De noisy-pop, il n’en sera question que sur un seul morceau : « Nice and Easy ». Il rappelle à notre bon souvenir leurs premiers disques, mais malgré sa qualité, ce n’est pas dans ce versant que se situent les principales réussites de cette ultime offrande. Prenons plutôt « Till the Cows Come Home » par exemple. Elle serpente lentement pour exploser brutalement avant de finir sur un vocoder magnifiquement utilisé et digne des meilleurs moments d’Underworld.
Ce sont bien les titres les plus longs qui sont souvent les plus prenants. « Every Good Girl » et « Signals and Alibis » avancent en apesanteur sans ennuyer grâce à leurs atmosphères cybernétiques et la voix de Toni Halliday.
Ah cette voix, cette voix… Intensément sexy sans faire dans le racolage éhonté. On n’insistera jamais assez sur le charisme inné et à part de cette chanteuse. Froide, intimidante mais pourtant capable d’être également terriblement douce et accueillante. Une ambivalence assez rare et fatalement fascinante. « Sinner » en est une magnifique représentation où les nappes électroniques chatoyantes de Dean Garcia deviennent un bel écrin pour la voix soyeuse de la dame.
On pourra toutefois regretter que le disque se termine sur une chanson de sous Sonic Youth (à moins que ça soit du Strokes ?) chanté par Dean Garcia. C’est agréable de découvrir la voix de cet homme de l’ombre (quoiqu’elle est très banale à côté de celle de Toni), mais si le morceau est plutôt sympathique, terminer sa carrière sur un titre anodin en comparaison du reste de sa production studio est forcément décevant. Mais c’est bien la seule chose qu’on peut reprocher à Curve.
Le couple le plus injustement mis de côté de l’histoire mettra un point final à ces nouvelles aventures peu de temps après la sortie de cet album. Dean Garcia n’en restera pas là et bâtira son principal projet SPC ECO sur une partie du son de ce disque, mais avec sa fille à la place de Toni Halliday.
Toni préférera s’éloigner du monde de la musique après une tentative avortée de sortir un album solo en 2005 et se mariera finalement avec le producteur Alan Moulder, compagnon de longue date du duo.
Oui, Curve aura su bien s’entourer (Flood a aussi participé à la production de plusieurs de leurs disques) et cela ne fait qu’épaissir le mystère autour de leur non-reconnaissance. Trop de personnalité et d’intégrité ? Sans doute. En attendant, leur discographie reste l’un des trésors les mieux cachés du monde du rock.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.