C’est un peu toujours la même chose, une rencontre avec un disque. Un détail qui peut paraître anodin en apparence mais qui se révèle crucial au final.
Dès le premier contact, on sait inconsciemment si l’album en question finira par rejoindre la pile des artistes qu’on aimera sans plus ou la catégorie de ceux qu’on chérira sans limite. Quand bien même l’artiste concerné n’est pas du tout connu ou bien sous-évalué. Mais pour en arriver là, il faut se détacher de toutes les mentions « classique » ou « culte ». Ne pas avoir peur d'être en désaccord avec la majorité et d’être un peu marginal. Ce qui demande un bel effort, j’en conviens.
C’est légitime de mettre ses propres goûts en avant au détriment d’une objectivité illusoire n’ayant pour but que de rassurer quelque uns dans leurs certitudes. J’enfonce une porte ouverte ? Pas tant que ça, puisque beaucoup pensent encore que l’Art reste un concept évaluable selon certains critères établis par deux critiques et demi. Deux personnes quelconques dont la subjectivité reste présente en définitive. Ce qui est normal, puisque l’Art dépend forcément des goûts de chacun.
2:54 souffre malheureusement de cette situation. C’est le groupe dont personne se soucie parce qu’on leur reproche d’être peu original car sous influences. Le groupe trop monochrome et pas assez mélodique. Le groupe trop en retenu et pas assez explicite. Au mieux, c’est le genre d’arguments qu’on peut retourner dans l’autre sens pour les transformer en qualités. Au pire, c’est de la grosse connerie.
La plus grande bêtise, c’est bien sûr de reprocher des influences. Quel groupe n’en a pas ? Tout le monde est concerné, même les plus grands mythes du rock. L’important, c’est de savoir les absorber pour les recracher avec une patte personnelle. Ce que fait justement 2:54, car qui sonne comme eux ? Personne.
C’est pour cette raison que dans cette vague revivaliste obsédée par les années 1980, elles sont les meilleures. Rien qu’« Orion » devrait mettre tout le monde d’accord. Une batterie à la frappe dure et envolée façon Comsat Angels avec un hululement gothique à hurler au clair de lune ne pouvait pas mieux lancer un tel album.
Au moins, les choses sont claires dès le début : si vous n’avez pas aimé leur première sortie, vous n’apprécierez pas plus celle-ci. Au contraire, si vous avez été ébloui par leurs débuts, vous ne pourrez être que séduit par The Other I et même le trouver meilleur.
Les quelques nouveautés sont minimes mais décisives. Aussi bien les plus surprenantes comme cette coquetterie vocale très R&B sur le martial « Blindfold », que les plus classiques telles les plans presque post-rock comme l’intense crescendo de « Raptor », le piano envoûtant d’« In The Mirror » ou cette complicité parfaite de la section rythmique qui transforme la moindre chanson en bataille rangée (« Sleepwalker », « Crest » ou « South »).
Le résultat ne se fait pas attendre, la musique de 2:54 est devenue plus mûre. Pour un groupe dont la retenue et la sobriété sont les points forts, cela ne pouvait être qu’une bonne nouvelle. La voix de Colette Thurlow illustrant très bien cette maturité car d’une sensualité extrême et assurée. Sa performance sur l’entrainant « The Monaco » fait des ravages et il en va de même pour « Glory Days ». Cette chanteuse rend la dream pop gothique sexy avec son chant presque soul et on ne peut que la remercier pour ça.
On peut également souhaiter que 2:54 continuera à poursuivre cette voie d’une pop aux atmosphères planantes et sombres. Car si les sœurs Thurlow savent aussi se faire plus lourdes et rock (« Crest » et « Pyro »), c’est surtout quand elles construisent des climats forts avec une batterie complexe qu’elles méritent le titre de grand quatuor de leur époque.
Un titre qu’elles conserveront encore longtemps si elles continuent leur évolution tout en se moquant des critiques à leur égard. Cela ne sera pas simple mais la juste reconnaissance finira par bien arriver tôt ou tard.
Dans tous les cas, elles m’ont conquis… Une seconde fois.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.