The Performer
6.6
The Performer

Album de James Righton (2020)

Non, mais sérieusement, qui, en France au moins, connaît le nom de James Righton ? A la limite, les amoureux de Keira Knightley savent qu’il est leur ennemi numéro 1, celui qui a ravi le cœur de leur actrice favorite, et lui a même fait deux bébés (dont Edie, leur première fille, à qui une chanson est dédiée sur "The Performer", le premier album dudit James…). Les fans les plus pointus de la brève époque de triomphe des « fluo kids » (ou de la « new rave », comme on disait aussi Outre-Manche) se souviendront de sa présence au sein de Klaxons, tandis que les aficionados de Arctic Monkeys auront vu son nom parmi les crédits de l’album "Tranquility Base Hotel & Casino". Bon, rien de tout cela n’aura rendu particulièrement attendu sa première création musicale sous son nom, et "The Performer" est, logiquement, sorti en mars dernier dans une discrétion totale, alors que le monde entier avait des choses bien plus « sérieuses » en tête.


Or, il se trouve que, si l’on jette quand même une oreille en passant sur cet album que rien ne distingue a priori de bien des productions « lambda », on risque d’être très agréablement surpris par ce qu’on y entendra : loin de la frénésie extatique d’antan, mais pas si près que cela non plus des aventures musicales des Monkeys, voici un disque qui se contente de poursuivre l’éminente histoire de la pop anglaise, en conjuguant un songwriting soigné – des mélodies efficaces et des textes intimes bien tournés – qui peut rappeler par exemple un orfèvre en la matière comme, disons… Paddy McAloon (Prefab Sprout), avec une « mise en sons » réalisant une improbable jonction entre des sonorités eighties et une modernité de bon goût.
« It’s all a mystery / Do you think I’m lost at sea? / Go fix me up another from above / This is not my confession / Come stand by me / I’m never gonna see down here again… » ("The Performer")


Dans une tradition bien ancrée, du côté d’un toujours élégant Bryan Ferry (qui est apparemment une influence dûment revendiquée par James…), il s’agit ici – comme la pochette, costard blanc et anonymat lumineux, l’indique clairement, de parler, en toute ambiguïté, d’un personnage public et qui est, et n’est pas tout-à-fait James Righton : les angoisses d’un jeune Anglais ouvert au monde qui voit son pays se refermer autour de lui ("Heavy Heart", poignant : « From an island that I used to know / Tell me… Are there any miracles still left for us? »), la fierté d’un jeune père ("Edie", lumineux : « Yeah I know that you're smart / I know that you’re tough enough to take on a fight / But somewhere underneath / But you still waiting for another world »), les doutes, banalement humains, d’un mari ("Start", la plus belle chanson franchement pop de l’album : « I said: "I don't wanna miss you, see where we are, can we go back to the start?" / "I don't wanna miss you, step from the stars, oh can we go back to the start?" »), et tant d’autres choses ordinaires sont chantées ici avec une pudeur et une délicatesse ravissantes…


James Righton n’est pas et ne sera sans doute jamais un grand chanteur, à la différence de ses modèles, mais on doit lui rendre justice : la belle sensibilité de sa voix est ici parfaitement mise en valeur par des orchestrations résolument de bon goût, allant d’un lyrisme bien contrôlé comme sur "Devil is Loose" à une tendresse souriante sur "Are You With Me" ?… "The Performer" se clôt, avec "Lessons in Dreamland Pt. 2", sur une belle déclaration d’amour de James à son épouse, mais qu’il nous soit permis de la prendre, au moins en partie, pour nous : « And take from me / All that you need… », c’est ce que nous allons faire, puisque la musique pop a été inventée exactement pour ça : prendre dans cet album tout ce dont nous avons besoin pour continuer à vivre, entre représentation publique et vérité intime.


[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/04/19/james-righton-the-performer-pop-anglaise-soignee/

EricDebarnot
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le 17 avr. 2020

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Eric BBYoda

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