Je ne suis pas un habitué de stoner, et encore moins un amateur de substances illicites qui sublimeraient l'écoute de ce style musical, en temps normal je me serais passé d'écrire sur une telle sortie. Mais l'absence de critique sur cet album m'a chagriné. Donc voilà, tâchons de rentrer dans le vif du sujet et de faire ça bien.
Il n'y a pas de mot assez précis pour décrire le degré de classitude et de badasserie de cette sortie. Sleep se réveille sans prévenir, sans promotion, et plie le metal-game avec l'album le plus basique de tous les temps, le plus évident. The Sciences est d'une simplicité déconcertante qui décuple mon affection pour le trio californien. Guitare-basse-batterie, il n'en faut pas plus pour dégommer les subwoofers. Simple, basique comme dirait l'autre. L'aspect composition parait presque secondaire chez ce groupe, tellement ces fréquences basses et ce riffing cradingue tranchent dans l'lard. Sleep fait du Sleep. Ils n'ont pas pris une ride, rejouent leur sauce d'antan. Un vrombissement viscéral et continu qui fait frissonner la moelle épinière. La formule n'a pas bougé d'un iota, si ce n'est Chris Hakius qui a légué sa grosse caisse et ses baguettes au batteur légendaire de Neurosis, Jason Roeder. Ce qu'il y a d'époustouflant avec cette sortie, c'est qu'elle complimente et enrichit la discographie de Sleep sans pour autant lui apporter concrètement quelque chose de nouveau. Elle fortifie leur héritage en fait, chacun de leurs précédents albums se voient évoluer en un corpus désormais intemporel.
Les riffs ont une fois de plus l'épaisseur d'un smog jaunâtre suintant l'herbe médicinale, les lignes de basse volatiles planent encore sur cette atmosphère nauséabonde et étouffante, la voix nasillarde d'Al Cisneros délivre avec conviction des récits savoureux d'explorations spatiales. Matez moi les doigts de Cisneros se balader au gré des frettes lors de Sonic Titan ; ce morceau posséderait presque deux niveaux de lecture instrumentale, la basse ne semble pas se soucier de la guitare, elles semblent toutes deux indépendantes l'une de l'autre, voguant comme bon leur semble sur des mélodies propres. Matt Pike d'ailleurs campe parfaitement son rôle de fondation du trio, permettant à la batterie (rarement) et à la guitare-basse (souvent) de se permettre des envolées. The Sciences pourrait bien devenir une oeuvre supérieure à tout ce que le trio de San José a pu faire jusqu'à présent, y compris par rapports à ses offshots (Om et High on Fire). L'album est un régal absolu puisqu'il synthétise l'essence primaire de Sleep avec un aspect plus moderne, en résulte une heure de stoner stellaire et rafraichissant. The Sciences jouit de plus d'un mixing et d'une production impeccable, choses qui n'obstruent point cette énergie pure et primitive que communique Sleep.
Sleep n'a pas inventé le doom ni le stoner, mais les perfectionne coup par coup depuis maintenant trois décennies. Avec cette sortie, les californiens font savoir qu'ils restent les maîtres de cette scène. Ils ont toujours cette verve nonchalante, ils annihilent sans pression la concurrence avec un tempo modéré qui, de manière contradictoire, est une rafale emportant tout sur son chemin. Ca décoiffe putain, ni plus ni moins. Je trouve ça risible que ces vieux mastodontes délivrent un album qui tournera au ridicule n'importe quel autre groupe de metal lourd qui s'essaiera au format album à l'avenir. Quel groupe pourrait légitimement prétendre sortir un album décent en comparaison de celui-ci ? J'exagère probablement, mais The Sciences fera de l'ombre à toutes les sorties rock et métal que j'entendrai à partir de maintenant.
Et que quelqu'un appelle la NASA, bon sang d'bonsoir, qu'on diffuse cet album sur toutes les sondes intergalactiques, The Botanist envoie suffisamment de patate pour conquérir à lui seul la galaxie Alpha Centauri. Une conquête par le son, voilà ce que représente The Sciences. Le son supplante la technologie, ce concept me plaît bien. Oh et big up à Third Man Records pour distribuer The Sciences. Jack White aura au moins accompli quelque chose de bien cette décennie.