Vous aussi, vous avez remarqué à quel point le mainstream de notre époque est d’une profonde tristesse ? Non, je ne vais pas jouer la minute du "c’était mieux avant" et enfoncer une porte ouverte sur le fait que penser découvrir de la bonne musique à la radio est une idiotie en 2017.
Mais quand même, est-ce normal de tomber systématiquement sur des horribles chansons sans aucune âme ni accroches quand on se risque sur la bande FM ? Chaque période a eu son lot de daubes, toutefois il pouvait arriver de tomber sur quelques excellents tubes, même chez des artistes mineurs. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de mal à y trouver du positif.
Si encore, ce mainstream bêta était contrebalancé par un circuit indépendant de qualité. Mais non. La grande majorité de ce qui est étiqueté "indie" alterne entre le manque de saveur et le ridicule.
Le rock semble devenu un truc ringard n’intéressant plus les jeunes au profit d’un hip hop embourgeoisé ayant perdu toute urgence depuis belle lurette. Quant à la critique, elle aime se tirer la nouille sur un R&B alternatif aux qualités de production indiscutables, mais aux qualités musicales beaucoup moins évidentes (avez-vous déjà testé ces coquilles vides que sont FKA twigs ou Kelela ?).
En fait, il n’y a qu’une grande question à se poser : c’était quand la dernière fois où vous avez écouté un grand disque de pop ? C’est-à-dire une musique très accessible, immédiate mais suffisamment bien composée pour être écoutée en boucle sans lasser tout en étant habitée par ses interprètes au point de faire sonner tout ce qu’ils font comme étant "vrai" ? En effet, j’imagine que ça doit faire des lustres que cela ne vous est pas arrivé.
Bien entendu, quand je parle de musique pop, j’évoque cette entité aux limites indéfinissables qui s’est nourri des styles alentours pour traverser les décennies sans vieillir. Cela va des Beatles, en passant par la pop électronique de Depeche Mode et celle, plus glam et intello, de Pulp. Phantogram en est un des descendants. Puisqu'en s’inspirant des années 2010 (l’électro, le hip hop moderne et le R&B) ils en donnent une version nettement plus mélodique, puissante et donc, accrocheuse. Tout en étant accompagné d’une voix (Sarah Barthel) bien au-dessus de la moyenne.
Mais ce duo n’est pas venu de nulle part. Autrefois plus adepte d’une pop électronique brumeuse et mystérieuse, leur dernier album marque un changement de cap qui a du mal à faire l’unanimité parmi leurs admirateurs. Plus direct, plus bourrin, plus concis. Les atmosphères se sont éventées pour laisser place à une électropop bien plus agressive (que ce soit musicalement ou au niveau des textes) et pouvant s’insérer sans problème sur les radios. Et c’est une grande réussite.
Oui, ce couple de songwriters (car ils ont toujours écrit des chansons, même quand ils n'étaient connus que d’un public de niche) a réussi ce que beaucoup ne parviennent pas à faire : être suffisamment efficaces pour séduire le grand public sans perdre en charme et en subtilité. Car derrière cette production clinquante et énorme, se cachent moult détails confirmant qu’ils sont parmi les meilleurs groupes du moment (le break atmosphérique de « You Don't Get Me High Anymore », le cri saturé du pourtant radiophonique « You're Mine », le trip hop « Answer » et sa poignante explosion finale…).
Phantogram se place même d’emblée dans le sillage du meilleur de la bande à Martin Gore : c’est-à-dire une pop électronique, hybride et sombre, chantée par deux interprètes géniaux. Sarah Barthel est, actuellement, une des chanteuses les plus fascinantes et puissantes. En constante progression depuis ses débuts, elle délivre une performance habitée tout au long de ce Three. Mais le plus incroyable, c’est que Josh Carter réussit à faire aussi bien. Contrairement à leur disque précédent, il se réserve un seul morceau et ça donne « Barking Dog ». Sur un sample de Steve Reich, il parvient à transmettre une émotion surprenante en dépit de sa voix peu assurée pour finir sur un cri absolument déchirant. On est très loin du pleurnichard « Never Going Home » qui polluait l’excellent Voices.
Ces voix, totalement investies et débarrassées du moindre second degré et cynisme inondant la musique actuelle (ce qui fait franchement du bien) sont évidemment influencées par des éléments extérieurs à la musique. La sœur de Sarah Barthel (et une amie proche de Josh Carter) s’étant suicidée peu avant l’enregistrement de cette sortie. Cela explique pourquoi cet album a autant la niaque et donne envie de lutter pour survivre malgré ses paroles sombres.
Cependant, il n’y a pas besoin de savoir tout cela pour ressentir la flamboyante passion (à l’image de cette pochette à l’esprit très new wave) animant les compositions de cette sortie. Tout comme il est inutile de faire attention aux mauvaises langues qui s’attacheront à des détails qu’on ne remarquera jamais si on ne s’intéresse pas aux clips vidéo (le look désormais hyper sexualisé de Barthel et sa teinture blonde). Three est ce que peut proposer de mieux la musique pop actuelle. Il ridiculise tout ce que le R&B contemporain essaye de nous faire avaler (« Run Run Blood » et « Calling All ») tout en faisant la nique aux starlettes actuelles. Certains passages chantés de « Same Old Blues » de « Cruel World » étant du Adele en bien. Quant à « Destroyer », c’est du Miley Cyrus qui se servirait de sa technique vocale pour atteindre l’émotion plutôt que la démonstration.
Hélas, seul une partie du public américain l’a compris (le disque est rentré en 9ème place au Billboard dès sa parution). Les critiques et le grand public européen, eux, restent de marbre. Forcément, il est difficile de faire de la bonne musique pop en ce milieu des années 2010 devant un public aussi peu réceptif à ça.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.