Revisiter Tutu, d’accord, mais pour quoi faire ?
Quel est l’intérêt de refaire Tutu, près de 25 ans plus tard ? Les musiciens qui accompagnent Marcus étaient à peine nés pour certains, quand l’album original est sorti. Les boîtes à rythmes analogiques et le son 80, on a déjà oublié tout ça, ça ferait limite poussiéreux. Mais les compositions restent. Les fans auront plaisir à réécouter Splatch, et ses sonorités funky spécial sauce. (Des cocottes funk sans guitare électrique), tout est fait aux claviers. Des morceaux reconnaissables dès la première note, tant ils sont marqués mélodiquement. Tomaas, Backyard Ritual, ou Splatch ! Dès qu’on les entend, on se dit : « Mais oui, c’est bien sûr ! Je connais ce morceau ! Ça me dit quelque chose. » Mélodies d’une simplicité lumineuse, rayonnantes, des arrangements très pop, et des instrumentistes virtuoses. Tout est dit. C’est plus jazz funk, que jazz, et la batterie joue comme une boîte à rythme. C’est dansant, et pensant en même temps. Revisiter tutu, consiste pour Marcus à le rejouer en live, à ralentir le tempo, et à rajouter quelques standards de jazz. Pour remplacer Miles Davis, il embauche un jeune trompettiste prodige, Christian Scott, crédité sur la pochette de l’album. Et le résultat est… un peu décevant. Un morceau comme Don’t Loose Your Mind, sonne beaucoup moins fort que sur l’album, l’original. Avec plein de chorus, vu qu’on est en live. Beaucoup moins de groove, vu que les développements harmoniques sont à rallonge. Et chaque plage me laisse cette impression. Revisiter Tutu, pour quoi faire ?
Tutu, le fameux morceau, qui est devenu (à la surprise générale ?), un classique emblématique de la fin des années 80, un des rares standards de l’époque à mon sens, même ceux qui ne comprennent rien au jazz adorent Tutu, ça c’est un signe qui ne trompe pas. Qu’est-ce qu’il en fait, Marcus ? Il le réarrange en…swing ? Sacrilège ! Je ne suis pas sûr que Miles aurait apprécié, lui qui ne regardait jamais en arrière. En 2011, jouer Tutu, morceau de 1986, comme on le jouerait en 1950 ou 60 ? C’est ce morceau que je voulais écouter, pour voir ce que valait la relecture de l’album, le cultissime original, avec Miles. Mais aujourd’hui, Marcus, non seulement regarde en arrière, mais joue un morceau qu’il a déjà joué mille fois, de façon pépère, sans prise de risque aucune. Il n’y a que sur Jean-Pierre, que j’ai ressenti quelque chose comme un frisson dans le dos. Là il oublie Tutu, et se lance dans une battle avec son batteur. La salle se remplit d’harmoniques inattendues, à base de slap, de sons, de delay ou d’écho, effet bœuf garantie. Slap brillant et complexe, un vrai pas de deux rythmique. J’ai eut l’impression d’entendre des batteurs qui s’expliquaient. J’ai rêvé un moment. Donc, le meilleur morceau de Tutu Revisited, n’est pas de Tutu.
Et il faut se rendre compte de l’évidence. Refaire Tutu sans Miles, c’est comme refaire LA Woman sans Jim Morrison, ou remonter les Jackson Five sans Michael. Il manque le supplément d’âme, la touche d’absolue, le génie qui sort de sa boîte. Avec le temps, Tutu est devenu un classique, ni plus, ni moins. Et on ne touche pas à un classique comme ça. De plus, Marcus, qui est à l’origine du projet, est le plus mal placé pour toucher à son bébé. Il le regarde avec trop de respect, il a peur de lui faire mal.