Milk & Honey
"Le plus connu des musiciens folk sixties dont personne n'aie jamais entendu parler." Ainsi s'exprime très justement un journaliste dans un article dédié à la mémoire de Jackson C. Frank, mort en...
Par
le 17 oct. 2013
68 j'aime
5
The Necks, on le sait, est en essence un groupe de live. Ces Australiens extraordinaires avides d'improvisation sont capables en concert – je ne cesserai jamais de le dire aussi longtemps que je vivrai – de chambouler totalement l'idée que l'on se fait de la musique et de ses limites. Je n'ai plus jamais vraiment été le même après les avoir vu il y a maintenant pas loin d'un an et demi. Mais même alors, les Necks n'avaient pas fini de bouleverser mon petit monde. Car lorsqu'il n'est pas occupé à faire naître sous nos tympans ébahis des univers sonores autonomes, le trio tâte régulièrement du studio. Et avec des décennies de pratique acharnée et de rodage consciencieux, les Necks sont parvenus à créer une discographie unique, profitant des outils du studio (production maîtrisée sur le bout des doigts, liberté d'ajouter des overdubs) pour renouveler leur formule piano/(contre)basse/batterie "classique" et s'avancer vers des territoires encore inexplorés – on pensera à des chefs d'œuvre comme le zen titanesque d'Aether, la frénésie entêtante de Hanging Gardens, la variation aqueuse de Silverwater, la dichotomie vertigineuse de Mindset, j'en passe. Mais en cet an de grâce 2017 qui voit le groupe fêter son 30ème anniversaire, The Necks changent encore la donne. Le concept de Unfold ? La tracklist dont vous êtes le héros.
Derrière cette somptueuse pochette bleue représentant l'enchainement de 4 reliefs montagneux aux contours flous, on trouvera 4 morceaux de 15 à 22 minutes. Ces 4 morceaux ont un ordre, par nécessité physique, mais celui-ci est factice : en effet les Australiens donnent à l'auditeur l'injonction de créer lui-même sa propre tracklist. Unfold est donc très bien nommé ; si la musique des Necks a toujours été comme un origami qu'on ne finit jamais de déplier, ce nouveau projet démultiplie les combinaisons possibles et accorde aux curieux enthousiastes la possibilité de se raconter leur propre histoire avec ces 4 instantanés.
Quid de la musique à proprement parler ? Sublime, bien entendu, what did you expect. Unfold célèbre les 30 ans de carrière du groupe par tous ses pores et se présente comme l'alternative parfaite au bon vieux Best-of bien consensuel des familles. Chacune de ces 4 pistes présente une vision puissamment évocatrice d'une face différente des Necks. Chaque morceau est radicalement différent de ses trois compères, et le plus beau dans l'histoire c'est qu'aucun ne peut être clairement associé à un album déjà existant dans leur discographie. Là où on aurait pu s'attendre à un microcosme résumant leur passé studio, on se retrouve finalement avec une nouvelle donne. Une nouvelle remise en jeu de leurs talents, en totale cohérence avec ce qui a toujours été leur état d'esprit : rien n'est acquis, chaque nouvelle composition fait table rase du passé pour s'inscrire dans un présent perpétuel qui sans cesse se remet en cause. Et comme à chaque fois, l'errance est sublimée. "Rise" ne nous a pas attendu pour démarrer ; au long d'un piano qui se cherche mystérieusement, d'une contrebasse qui vacille et de percussions qui s'étirent douloureusement, la pièce fait l'effet d'un lendemain de cuite où l'on a cruellement conscience de chaque parcelle de notre corps engourdi, forcé que nous sommes de nous étirer pour entamer un nouveau long voyage de 24h. "Timepiece" ressemble à une constante renaissance, un morceau qui ne cesse de se remettre en jeu en faisant mine de trébucher, mais derrière les syncopes faussement maladroites une impressionnante machinerie se met en branle, mise au service d'un crescendo d'une intensité terrassante. "Overhear" erre éperdument, perdue entre son orgue méditatif, son drone de contrebasse qui bloque toute issue et ses percussions à la limite du tribal lunaire. Quant à "Blue Mountain" que dire, si ce n'est qu'on aura beau essayer très fort chez la concurrence cette année, on aura du mal à faire plus beau et plus pur que cette montée en puissance de 20 minutes sur deux accords qui range au placard tous les antiquaires redondants qui croient encore accomplir quelque chose en continuant à faire du post-rock en 2017.
Au fil de nos expériences avec toutes les possibilités de tracklisting différentes de l'album, on apprend à connaître de mieux en mieux chacune de ses parties prises séparément, et la manière dont chacune s'emboîte avec la voisine. Mais le disque est si riche en alternatives qu'il semble qu'on ne cessera jamais de le révéler à mesure que l'on joue avec afin de s'assurer qu'on contemple ce diamant d'un angle toujours différent. Unfold présente certaines des pièces les plus déconstruites de l'histoire des Necks, mais fort heureusement l'album évite l'hermétisme avec maestria grâce à ses durées raccourcies (pour rappel, un morceau classique des Necks dure aux alentours d'une heure) : aussi mystérieuses soient-elles ce sont des errances qui vont droit au but.
Et puisqu'ici on propose à chacun de créer sa propre histoire je m'en vais conclure en vous contant brièvement celle que j'ai choisie après de multiples essais. L'album m'apparait le plus vivant et le plus dramatique lorsque je pars de la confusion de "Overhear" pour poursuivre de la soupe primitive créatrice de "Timepiece" vers l'éveil aux sens embrumé de "Rise" et s'achever sur l'envol extatique de "Blue Mountain". Un voyage du chaotique vers le structuré. Voici ma modeste suggestion, à présent c'est à vous de jouer !
Chronique provenant sur Xsilence
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Un jour j'ai eu une platine, et j'ai arrêté de m'acheter des CDs (ou ma Vinylothèque), 2017 en musique d'une traite dans mon assiette avec mon corps d'athlète et mon œil d'esthète, Les meilleurs albums de 2017 et La quête à Necks [Portrait d'une discographie #2 - The Necks]
Créée
le 11 févr. 2017
Critique lue 316 fois
7 j'aime
2 commentaires
Du même critique
"Le plus connu des musiciens folk sixties dont personne n'aie jamais entendu parler." Ainsi s'exprime très justement un journaliste dans un article dédié à la mémoire de Jackson C. Frank, mort en...
Par
le 17 oct. 2013
68 j'aime
5
Cette citation n'est pas de moi, c'est Saitama lui-même, principal protagoniste et « héros » de One-Punch Man, qui la prononce après un énième gros vilain dûment tabassé d'un seul coup...
Par
le 5 janv. 2016
67 j'aime
38
On pourrait être tenté, à l'approche de la musique de Murmuüre, de ne parler que de Black Metal. On pourrait amener, à la simple écoute des guitares poisseuses et saturées ou bien des - rares -...
Par
le 30 sept. 2014
54 j'aime
5