Vive la vie est un album qui ne laisse pas indifférent, et ce pour plusieurs raisons.
Il y a d'abord la grande qualité et originalité musicale de l'album, des instrus riches qui puisent leur racine dans le jazz et la soul, loopées de façon magistrale : elles participent énormément à cette ambiance si particulière de l'album. C'est elles qui vont permettre à Fuzati de poser son flow si particulier, aux antipodes de ce qui se fait d'ordinaire dans le hip-hop. Une voix faussement innocente et nonchalante qui prononce d'une façon détachée et un peu hautaine un nombre incalculable de punchlines, tellement qu'on finit par perdre le compte. Pas un seul faux pas, pas une seule phrase faible. À tel point qu'il faut bien 4 ou 5 écoutes pour saisir toutes les subtilités qui se cachent dans le livret de paroles, la voix de Fuzati malgré son apport à l'ambiance de l'album rendant la concentration difficile.
Mais bien sûr, ce qu'on retient et ce qui marque profondément c'est l'incroyable concentré de cynisme haineux qui se dégage de ce disque. À tel point qu'il devient gênant de le prendre au premier degré, et on se réfugie dans un second degré finalement assez peu convaincant : faudrait-il prendre ces tirades misogynes, misanthropes, glauques à souhait souvent, pour de l'humour ou un personnage à relativiser ? Je ne le pense pas.
Car Fuzati part finalement d'un départ commun a potentiellement beaucoup d'hommes : un simple râteau qu'on découvre avec les interludes avec Anne-Charlotte, associé à une période de solitude. C'est à partir de là qu'il se replie sur lui-même et développe tant de pensées sombres.
Une haine du sexe opposé, faisant écho au "toutes des putes" si souvent entendu (De l'amour à la haine).
Une haine de sa ville Versailles dans laquelle il n'a jamais été à sa place (Sous le signe du V).
Une haine du milieu du rap qui le rejette (Dead Hiphop)
Une haine des enfants (Poussière d'enfants) et des couples (Ne plus y croire) qui lui rappellent trop bien comme ses illusions étaient douces avant qu'elles meurent.
Une haine des gens (Baise les gens) tout simplement, a-t-on jamais été plus seul qu'au milieu d'une foule ?
Et que reste-t-il ? La solitude, perceptible dans Un peu seul.
Un sentiment de suffisance et de supériorité - lui a compris la vie, au moins - qui le rend si détestable et si classe à la fois.
La haine de soi-même une fois qu'il n'y a plus personne à haïr.
Une fin d'album de plus en plus noire, racontant une descente progressive aux enfers et des envies de suicide, pour déboucher enfin sur Perspectives, véritable marche funèbre débouchant sur la dernière et peut-être meilleure punchline de l'album :
Finalement la pluie a été inventée pour que les types comme moi marchent dessous en se disant
"Allez c'est décidé, demain je trouve un arbre isolé et je le fais"
Et ils pensaient que ce que je disais n'était qu'un concept, super !
Mais je risque d'en user jusqu'à la corde.
Alors, certes, ces sentiments sont exagérés, exacerbés pour le besoin des figures de style, mais ils me semblent parfaitement réalistes dans un cynisme imparable. J'ignore toujours ce qui a motivé Fuzati pour faire cet album, et finalement peu importe. Il est pour moi un rappel de ce qui peut arriver si jamais on se laisse aller dans la spirale infernale de la dépression, ce disque c'est la raison pour laquelle il faut aimer la vie, aimer les autres, et apprécier ce qu'on a, aussi futile que la vie puisse paraître, l'autre solution est trop insoutenable. Ça peut sembler un peu mièvre ou quoi mais c'est mon vrai sentiment.