Sur la foi d'un seul titre, j'avais excepté Juliana Hatfield de l'indifférence que je vouais à la bande de Seattle en particulier et au grunge en général. Trop de bruit, trop de cheveux, trop d'indifférence mélodique. Le contraste entre sa voix de petite fille anxieuse et le mur de guitares qui l'accompagnait détonnait au milieu d'un mouvement où les garçons se taillaient la part du lion. Le titre s'appelait Here Comes The Pain et le disque This Is Fort Apache, une compilation de label comme il y en eut tant dans les années 90 (mais pourquoi diable avais-je acheté ce disque ?).
Je n'avais pas suivi sa carrière plus que ça par la suite mais ce titre était resté qui m'avait permis de ne jamais oublier Juliana Hatfield. Et puis l'an dernier elle réapparut dans ma vie avec un disque totalement inattendu, un hommage de fan à son idole de préadolescence, Olivia Newton-John. Hommage à la fois totalement sincère (elle évita l'écueil mortel de l'ironie) et totalement personnel , infusant une fièvre adolescente à des chansons plutôt portées à célébrer l'amour sur un mode majeur. On ne le cachera pas, ce fut ici un des disques les plus écoutés et les plus chéris de 2018. Et puis, alors que Juliana Hatfield sings Olivia Newton-John était à peine digéré survient Weird, son déjà dix-septième disque. A presque 52 ans, Juliana s'est à peine assagi et elle a conservé intacte ses frustrations adolescentes. Ni Barbie, ni Kardashian, elle évoque son inéluctable vieillissement avec une honnêteté que beaucoup pourraient lui envier (comme ce sang qu'elle avoue cracher dans son lavabo à chaque fois qu'elle se brosse les dents (Broken Doll)). Dans ce disque plein de cicatrices et de balafres, elle revient sur son inaptitude à trouver sa place dans ce monde (Lost Ship) et ce désir de solitude indispensable à la création. Mais ces écorchures n'ont étrangement pas altéré sa voix, aussi fraîche et girly qu'à l'époque d' Only Everything (sa marque de fabrique). Les arrangements semblent eux aussi préservés des outrages du temps et on se dit parfois que le disque aurait pu aussi bien sortir en 1995. Mais sans les lourdeurs du passé. En vieillissant, Juliana n'a rien perdu de ses frustrations mais elle s'est allégé musicalement en revenant à une immédiateté pop qui fait mouche à plusieurs reprises (Sugar, délicieux; Paid To lie, qui retient beaucoup des leçons d'Olivia). Et, puis, comme pour effacer beaucoup des nuages qui obscurcissent sa vie, Juliana revient à la grande consolatrice, celle qui aura raison de tout, la Musique (Do It To Music), achevant sur une note enthousiaste, un disque qui, par sa diversité et son inspiration, risque bien de nous faire beaucoup d'usage.