Whipping Boy
Whipping Boy

Album de Whipping Boy (2000)

Whipping Boy et Therapy? ne partagent pas que le seul point commun d’être irlandais de souche. Leurs parcours, dans les années 1990, ont évolué d’une manière tellement similaire que ça en est devenu troublant. Du moins, c’est le cas sur leurs trois premiers albums.


Submarine et Nurse sont particulièrement représentatifs du statut du rock alternatif à leur parution. C’est-à-dire plus accessibles que l’underground des 80s mais toujours sans compromis. Si ces disques partagent, avec le grunge d’alors, la même envie de populariser une musique sale et violente auprès du grand public, les Irlandais sont trop éloignés d’un traitement sonore mainstream. Cette marginalisation (plus ou moins volontaire) en fait des sorties appréciables par les puristes tout en étant susceptibles de séduire au-delà de cette sphère d’auditeurs.


Heartworm et Troublegum signent l’arrivée du succès commercial. Au milieu des 90s, le rock alternatif est désormais totalement accepté. Il séduit la jeunesse et fait régulièrement une entrée remarquée dans les charts. Cela coïncidence avec une musique plus accrocheuse, parfois moins exigeante mais encore inspirée. Pendant que le gang d’Andy Cairns ajoute de la power pop dans son punk metal bruyant, Fearghal McKee s’imprègne d’arrangements acoustiques et de cordes pour rendre ses chansons plus grandioses. Ce qui tombe bien puisqu’elles sont riches en sombres sentiments et en paroles noires. Au point qu’elles pourraient être une continuité désabusée de Echo and The Bunnymen.


Whipping Boy et Infernal Love achèvent cette mutation de leur rock alternatif en s’insérant complètement dans le mainstream. Le second met en valeur les sentiments mélancoliques de leur leader sans pour autant oublier ce rock puissant qui les a portés au sommet. Le premier table de nouveau sur la recette de son prédécesseur : un rock littéraire, nuancé, riche en émotion et en orchestrations. Sauf que cette fois-ci, la musique est nettement plus lisse et volontiers pop. On se rapproche même de la britpop en vogue à cet instant.


Si ces deux groupes ne partagent pas tout le temps des influences proches et ont évolué chacun de leur côté, qualitativement, on retrouve toujours cette envie de proposer des morceaux marquants et personnels.


Malheureusement, c’est sur ce dernier point que la comparaison cesse entre eux.


Contrairement à Infernal Love, Whipping Boy est raté. Non, pire que ça, c’est un navet ! L’explication ne réside pas dans cette orientation plus grand public. L’album est accessible, doux et peut être écouté par le plus grand monde sans qu’on se sente agressé (à condition de ne pas comprendre ses paroles dépressives). Seulement, ce n’est évidemment pas pour cette raison qu’il inspire tant d’ennui. L’inconvénient, c’est que Whipping Boy a cru pouvoir devenir pop alors qu’il n’était pas du tout fait pour ça.


Bien entendu, il y avait des refrains fédérateurs sur Heartworm (« When We Were Young » et le monumental « We Don't Need Nobody Else »). Cependant, ils étaient en minorité et laissaient entendre une évidence qu’il était important de ne pas oublier : la formation faisait avant tout du rock. Un rock intellectuel, volontiers axé sur l’ambiance et les compositions. Capable d’émouvoir grâce à une interprétation remémorant des souvenirs douloureux et des guitares saturées au fort pouvoir destructeur. Toutefois, en aucun cas, il ne s’agissait d’une musique pouvant remplir des stades. On n’était pas chez U2 malgré une nationalité commune.


« So Much for Love » commence ce skeud de manière à ce qu’on sait à quoi s’attendre durant les quarante prochaines minutes. C’est agréable mais inconséquent. L’écriture étant d’une banalité à en pleurer. Ce côté inoffensif, constant durant votre écoute, fait rapidement comprendre qu’il y a un énorme problème de songwriting : les mélodies étant oubliables. Immense frustration, les arrangements conservent la finesse et l’inventivité du précédent disque. « Pat the Almighty » évoque le blockbuster Automatic for the People de R.E.M.. Hélas, sans le talent mélodique de la bande à Michael Stipe. Ce qui renforce encore plus cette sensation d’avoir une belle coquille vide devant soi.
Au mieux, certains extraits sont plaisants (les guitares énervées de « Mutton », le refrain de « Who Am I? ») voire surprenants (l’outro démoniaque « No Place to Go » où la formation renoue avec son passé shoegaze / hardcore). Néanmoins, aucun titre n’est réellement mémorable dans sa globalité !


Whipping Boy n’a probablement pas eu de chance, contrairement à Therapy qui a su rebondir immédiatement après son pic commercial. Fearghal McKee ayant composé cet album avec ses compères dans la douleur. Leur séparation étant survenue en 1998, soit deux ans avant la sortie de ce disque devenant, par la même occasion, une œuvre posthume.
Et si les musiques engendrées dans la souffrance sont souvent porteuses d’une aura et d’une émotion forte, ce dernier opus du quatuor ne semble être qu’une exception à la règle. Une conclusion qu’on ne peut que regretter à jamais tant ce groupe maudit aurait mérité de finir autrement.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 4 févr. 2018

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