R&B on the dancefloor

La fusion entre R&B et dance que Majid Jordan proposent depuis leurs débuts, et qui les a positionnés comme un duo faisant souffler un vent de nouveauté sur le genre au milieu des années 2010, a rarement sonné aussi maîtrisée que sur leur troisième opus Wildest Dreams. Leur recette qui consiste à mélanger les sonorités électroniques et nocturnes d'une musique de club avec la sensibilité et la chaleur du R&B n'avait jamais été mise en doute mais elle pouvait s'essouffler sur la longueur d'un album, comme cela était le cas sur The Space In Between – un second disque de bonne facture avec quelques morceaux dansants irrésistibles mais sur lequel les deux acolytes semblaient tourner en rond et avoir du mal à se renouveler une fois le rush de "Gave Your Love Away" et "Body Talk" passé.

Wildest Dreams propose deux choses plutôt inédites de la part de Majid Al Maskati et Jordan Ullman qui font que cet album apparaît dès lors comme leur plus abouti et immédiat.

D'un côté, le duo embrasse davantage un R&B plus classique, moins dansant et électronique que d'accoutumé. La ballade acoustique "Forget About The Party" enchante et prouve que Jordan Ullman peut épurer ses productions sans que le charme de la musique de Majid Jordan disparaisse pour autant. La voix de Majid Al Maskati et une guitare suffisent pour convoquer ce romantisme devenu synonyme du duo originaire de Toronto. La piste finale planante à souhait, "Sweet", apparaît comme cette douce réflection qui vient à la fin d'une belle soirée passée en bonne compagnie ("All that matters in the end/Are the moments that we spent").

Ces excursions dans un R&B plus proche d'une soul intimiste que des dancefloors ne signifie pas pour autant que Majid Jordan se laissent aller à la facilité cherchant, au contraire, à offrir de la fraîcheur à leur musique en jouant avec des sonorités inédites pour eux et en y apposant leur ADN. Le duo nous livre avec "Sway" une chanson de bossa nova extrêmement séduisante, l'une des pistes les plus surprenantes de ce second opus – ad-libs hasardeux de P. Diddy compris. Le fiévreux "Wildest Dreams" aborde une production électronique typique du groupe sauf que celle-ci se retrouve réduite à l'essentiel laissant beaucoup de place à la performance habitée de Majid Al Maskati. Un contraste assez frappant avec les quatre morceaux très étoffés qui précèdent cette piste-titre magnétique.

D'un autre côté, quand le chanteur et le producteur canadiens créent de la musique davantage destinée aux boîtes de nuit qu'aux moments d'intimité, ils montent le curseur au maximum et produisent les morceaux les plus efficaces de leur carrière. Dans un monde juste, le single "Waves of Blue" serait le plus gros tube de l'année et "Summer Rain" lui emboîterait facilement le pas. "Life Worth Living" et ses notes de saxophone auraient pu sans problème trouver leur place sur l'un des récents albums de The Weeknd. La piste d'ouverture "Dancing on a Dream" évoque les morceaux les plus accrocheurs du duo avec une étincelle supplémentaire qui lance les festivités comme il le faut. "Been Through That" est une parfaite démonstration de l'ingéniosité de Jordan Ullman pour mélanger R&B et musique dance ensemble. Et simplement formulé, "Stars Align" est ce que Majid Jordan font de mieux en matière de mid-tempos – et entendre Drake sur autre chose qu'une production mollassonne au beat trap sans saveur procure un plaisir non négligeable.

Dans les mains d'un artiste pop adulé par un large public, Wildest Dreams serait le type d'album armé de tubes redoutables qui écraserait tout sur son passage. Dans celles de Majid Jordan, il apparaît comme l'aboutissement d'années de travail et d'expérimentations avec deux genres musicaux que personne ne fusionne comme le duo canadien réussit à le faire. Nous n'en avions pas forcément besoin, mais Wildest Dreams est une énième preuve de la marque qu'ont bel et bien laissé Majid Al Maskati et Jordan Ullman sur le paysage R&B contemporain.

Score : 8.1
Key tracks : "Waves of Blue", "Sway", "Been Through That".