C’est arrivé. Cette bande de joyeux Dublinois qui chantaient, l’an passé : « My childhood was small, but I’m gonna be big ». Retournant leur étiquette post-punk à l’étiqueteuse, ils ont confirmé qu’ils avaient bien plus à offrir que l’exotisme d’un accent irlandais sur une variation un peu plus posée d’Idles.
Si Dogrel avait joué son rôle dans les développements énergiques du post-punk des années 2010, ce deuxième album en joue le contrepoint assombri. C’est une œuvre de pleine maturité, où les références vont puiser jusqu’aux grands prénoms en L du songwriting – Leonard Cohen, Lee Hazlewood, Lou Reed.
L’album peut être grossièrement découpé en une structure ordonnée A-C-C-C-A-B-C-C-C-A-B, où tandis que les C sont la gravité tendue et empressée qui grouille en son cœur, les A et B aux extrémités – considérant qu’un vinyle comporte 2 faces et donc 4 extrémités – sont une gravité apaisée et lumineuse.
Les A, c’est-à-dire « I Don’t Belong », « You Said » et « Sunny », représentent un magnifique triptyque de ballades d’un genre nouveau : la « ballade indie post-punk », bien rythmée mais un peu pataude, joliment fignolée mais jamais à l’abri d’une saillie de guitare électrique qui vient apporter un semblant de dissonance.
Les B, à savoir « Oh Such a Spring » et « No », sont les chansons de fin de face qui assument plus clairement leur fonction de berceuses néo-folk réverbérées. Le tempo y est très lent ou brouillé, la nostalgie s'y présente dans un phrasé simple et articulé – « I wish I could go back to spring again »
La magie des A et des B nous fait voir des mirages : les Beach Boys passant l’été enfermés dans une grotte, Liam Gallagher rejoignant Radiohead sur scène. Car quoi que l'on pense de la Britpop, force est de reconnaître la filiation, qui sera encore plus criante deux ans plus tard avec « Jackie Down the Line ».
Les C enfin, qui s'enchaînent par 3 sur chaque face comme vous l’avez observé, s'abreuvent de la fièvre industrielle du post-punk années 1970 façon Bauhaus ou Public Image Ltd. Course en apnée sur « Televised Mind » et « A Lucid Dream », confinement vaillant sur « Love is the Main Thing » et « Living in America ».
Fontaines D.C., des C, a même extrait le décès. L'éclatant et nietzschéen "A Hero's Death", exhortation à vivre sa vie avec bravoure, passion et sincérité, vaut son pesant en livres de développement personnel. Le flux de paroles de Grian Chatten y atteint ses paroxysmes de liberté et d’expressivité.
Si les sautillements velvétiens d’un « I Was Not Born » paraissent rassurants en comparaison du reste, c’est que l’on tient en cet album une œuvre profonde. Bouillante comme le noyau terrestre, et en même temps vive comme l’air, elle tire sa beauté des fonds de joie et d’insouciance qui lui restent.