Suivre la mode est-il condamnable ? Littéralement, on pourrait le croire. Que peut-il y avoir de moins honnête qu’une démarche se contentant de reprendre à son compte les éléments les plus vendeurs du moment ? Mais si elle permet d’en extraire le meilleur pour le saupoudrer de son identité ? Ah, c’est tout de suite beaucoup plus compliqué !
David Bowie n’aura fait que ça dans sa carrière : prendre les rudiments des tendances de son époque pour en faire une belle synthèse. Suede, en bon élèves du Monsieur, feront de même et cela leur a permis de revenir d’une manière éclatante à chaque fois.
Seulement, le groupe n’aura pas su passer ce fameux cap des années 2000 qui a fait beaucoup de mal à la musique pop rock. Radiohead avait senti le vent tourner et préférera s’éloigner vers l’électronique sur son Kid A quand d’autres disparaitront complétement. Car les années 2000 annoncent l’affadissement du rock malgré quelques albums comme les premiers Interpol et Strokes qui ont fait illusion (mais pas longtemps quand on constate la suite de leur carrière).
La britpop, triomphante cinq ans plus tôt, va laisser place à ce qu’on peut appeler aujourd’hui la post-britpop. Une version consensuelle et faussement élaborée du mouvement d’origine. Ce qui est logique puisqu’il était arrivé la même chose avec le grunge et la naissance de Muse, qui avait l’allure d’une version dégénérée de Radiohead, en est un autre exemple.
A la sortie de A New Morning, ce sont Coldplay et autre Travis qui commencent à faire la loi dans les charts. Des bonhommes aptes à accomplir des fulgurances sur le format single (ne soyons pas de mauvaise foi), mais incapables de ne pas compléter leurs albums avec une soupe aussi profonde et émouvante que ce qu’on appelle communément « la variété internationale ».
Avec un point de vue binaire, on pourrait penser que ce 5ème album est raté parce que la troupe de Brett Anderson s’est inspirée de cette tendance navrante. Il n’y a rien de plus faux. Elle nous a prouvé en 1996 qu’on pouvait se permettre d’utiliser des sonorités limite vulgaires et écrire des grandes chansons. Être putassier et inspiré n’est pas incompatible. Alors être sage tout en proposant de la qualité n’est pas non plus impossible.
Hélas, ce disque est une preuve qu’un contexte et l’humeur d’un groupe peut avoir une influence sur sa musique. Un gros cliché, certes. Mais les clichés ont tous une part de vérité.
Brett, alors dans une phase de sevrage suite à ses nombreux problèmes d’addiction, écrit ses paroles dans une maison de campagne isolée du comté de Surrey. A part le remplacement du claviériste Neil Codling par un ex-Strangelove, il n’y a rien à signaler à propos du line-up. Pourtant la musique de A New Morning est différente (encore !) de ses précédentes sorties. Jamais Suede n’a été aussi sobre, aussi modéré et aussi… Insipide. Mélodiquement, c’est souvent le calme plat et peu de détails sont mémorables.
Pourtant, l’album n’est pas dénué en qualités. Si les paroles de « Beautiful Loser » alignent les mêmes poncifs, son refrain reste dans les mémoires et il en va de même pour « One Hit to the Body ». S’il y a d’autres morceaux à sauver (les deux premiers qui ouvrent l’album), il s’écoute difficilement jusqu’au bout tellement il est impersonnel et manque de passion. La passion, ce quelque chose qui habitait leurs précédents disques et qui répondait absent lors de l’enregistrement de cet échec.
A New Morning est une leçon. Un moyen de démontrer que si l’humeur n’est pas là, il vaut mieux se taire ou ne rien faire. Suede a préféré se forcer et cela a donné une musique poussive. Leur mélancolie est devenue artificielle et ce qui faisait leur identité (les moments de spleen que seuls les gros balourds sont incapables de déceler derrière le strass et les paillettes ) s’est presque évaporée.
Presque… Car Bloodsports a prouvé qu’on pouvait retrouver une certaine magie quand on a l’envie qui suit derrière. Mais je n’aurais pas aimé être à la place des fans en 2002. Car ils ont dû attendre plus de dix ans avant que ces glameux classieux réinjectent de l’émotion et de la spontanéité dans ce pop rock fonctionnel et creux.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.