Contrairement à ce que beaucoup semblent imaginer aujourd'hui que le temps a fait son oeuvre (son sale boulot), Bowie et la scène, ça n'a jamais été facile. Si ce n'était la fascination éperdue qu'il exerçait sur nous, il faut objectivement reconnaître que ses "live" ont été toujours irréguliers : entre la froideur naturel d'un artiste plus passionné par le développement de concepts que par l'offrande dionysiaque à un public enamouré, et ce que l'on ne peut que qualifier de "tendance au mauvais goût", il y a dans les apparitions publiques de Bowie (et leurs enregistrements) plus d'ivraie que de bon grain. "A Reality Tour" tranche franchement par rapport aux "Ziggy Live de Pennebaker", "David Live", "Serious Moonlight" et autres "Glass Spider" d'assez triste mémoire, parce qu'on y voit un Bowie pour la première fois (?) détendu, paraissant plus préoccupé par son propre plaisir à jouer et à partager des chansons que tout le monde adore, que d'un quelconque geste artistique. Peut-être libéré par la disparition progressive de tout enjeu, de la nécessité d'être toujours à l'avant garde, il regarde ici dans le rétroviseur avec une légèreté qui lui est peu coutumière. Entouré par un groupe hétéroclite, mixte dans tous les sens du terme (des hommes et des femmes, des blancs et des noirs, des rockers et des artistes jazz / soul), et finalement parfait, avec entre les mains une setlist que tout autre artiste ne peut que lui envier, Bowie nous offre deux heures et vingt minutes d'un plaisir simple : pas de démonstration de virtuosité inutile, pas d'effets de scène, une interprétation à la fois fidèle et légèrement actualisée des classiques (la trilogie finale extraite de "Ziggy Stardust" envoie toujours du pâté !), voici une sorte de concert "rock" exemplaire, que l'on pourrait presque qualifier de concert de la "maturité", s'il ne s'était, malheureusement, horriblement, s'agit de la dernière fois. A la fin, David promet à Dublin de revenir l'année suivante : on ne peut que frissonner rétroactivement, nous qui savons qu'il n'en sera rien.
PS : Sinon, chacun y trouvera ses morceaux favoris (pour moi, ce sera "All the Young Dudes", à pleurer, et "Ashes to Ashes", brillantissime...), mais surtout de nouveaux motifs d'extase (les morceaux de "Reality", impeccables, une version dépouillée et intelligente du mal aimé "Loving the Alien", un duo fracassant avec Gail Ann Dorsey sur "Under Pressure"...). Le tout atrocement filmé comme 99% des concerts le sont, avec d'ignobles effets de ralenti en plus, et une image dégueulasse, et avec un son perfectible. Mais quand on aime... [Critique écrite en 2016]