Mon amour pour Knocked Loose ne connaît que peu de limites, étant arrivé à la scène hardcore avec l'EP "Pop Culture" puis "Laugh Tracks". Quelle n'est donc pas ma surprise quand j'apprends que le groupe sort un EP concept surprise, deux ans après le formidable et magmatique "A Different Shade of Blue" où le groupe se départissait de ses influences Disembodied pour proposer un metalcore plus sombre et influencé par le death metal.
Une autre tendance initiée sur le dernier album et confirmée ici, c'est la distance que prend le groupe par rapport au beatdown (que certain.e.s appellent faux-beatdown car loin des traditions originelles du style) et les breaks emphatiques de leurs débuts (les classiques "Counting Worms", "All My Friends" ou "Deadringer"). Knocked Loose reste adepte des déflagrations mid-tempo mais ne leur donne pas la même évidence et les habille désormais de dissonance et de nombreux panic chords.


Si on perd en rigolade, on gagne en consistance et en cohérence d'ensemble. En somme, et même si ça sonne comme un lieu commun, le projet gagne en maturité. Celui qui en témoigne le plus, c'est le chanteur Bryan Garris qui en plus de sonner plus déchiré et anxiogène que jamais avec son chant reconnaissable entre mille, révèle avoir écrit le concept de l'album et le script du court-métrage d'animation qui l'accompagne.


"A Tear in the Fabric of Life" suit le processus de deuil et de chagrin d'un personnage qui, après un accident de voiture qui coûte la vie de son/sa partenaire (aucun des deux protagonistes n'est genré ou identifié par autre chose que sa simple forme humaine), tombe dans une spirale de culpabilité et de névrose. Alors, vous savez à quel point à Horns Up on refuse de tomber dans le piège facile de la chronique piste-par-piste, mais la construction de l'EP m'oblige à vous expliquer brièvement la progression thématique et narrative de la tracklist.


Le premier morceau, "When Light Divides the Holler" dépeint l'accident. Après qu'une radio crachotante enchaîne les samples (dont un qui fait référence à l'outro de "Deadringer"), la voiture perd le contrôle et percute un arbre, déclenchant le hurlement dévasté de Bryan Garris. Le personnage survivant assiste au décès de son.sa partenaire et le thème de l'album est annoncé : "une déchirure dans le tissu de la vie".
"God Knows", le deuxième morceau, dépeint l'immédiat après du crash et la perte de repères et le PTSD dont souffre l'auteur de l'accident ("Where do I go from here? / Panic sets in and I start to shake" - Où vais-je à partir d'ici / La panique s'installe et je commence à trembler) et se termine par un sample de "God Only Knows" des Beach Boys.
Le morceau suivant, "Forced to Stay" approfondit davantage l'effondrement du monde du personnage et son incompréhension, l'apparition de la culpabilité et s'entame par un riff rappelant celui de "Guided by the Moon" sur l'album précédent.
Après ce morceau de transition, "Contorted in the Faille" analyse la douleur de la perte et la profondeur de la peine par l'absence. Le.la protagoniste voit les souvenirs prendre la poussière et le temps passer sans que la douleur ne s'amenuise ("Months have passed but the winter stays" - Les mois ont passé mais l'hiver demeure). Hanté.e par le fantôme, le personnage sombre dans la déraison, accompagné par un breakdown étouffant.
Cette idée de perte de la rationalité est prolongée par "Return to Passion" qui voit la figure survivante se persuader de pouvoir faire revivre la personne décédée et d'imposer une réunion impossible en la déterrant métaphoriquement.
L'ultime morceau, "Permanent", vient confirmer le caractère inévitable de la mort et sa fatalité. Si l'acceptation du départ s'accomplit, la douleur de la solitude est toujours poignante ("Without a sun, there is no room to grow" - Sans un soleil, il n'y a plus de place pour grandir). Comme la névrose est immortelle ("Permanent blue"), la seule excuse et rédemption possible se matérialise par le suicide ("Parted by death, reunited the same" - Séparé.e.s par la mort, réuni.e.s de la même façon). La seule façon de préserver l'amour et de tourner la page, c'est "d'éteindre la lumière".


Toutefois, à travers l'EP, Bryan Garris ne présente pas cette épreuve terrible comme une petite mort mais au contraire comme une sorte de renaissance inverse ("I am reborn in a life without you" - Je vis une seconde naissance dans une vie où tu n'es pas) où le.la narrateur.trice doit repartir de zéro sans la personne à qui il ou elle tenait. C'est une façon assez rare de présenter le sujet et qui a le mérite d'accentuer le désespoir du projet. Le travail visuel d'animation explore davantage cet aspect avec une galerie de personnages sombres, décharnés et étirés, pouvant évoquer l'expressionnisme allemand et les univers de Nosferatu ou du Cabinet du Docteur Caligari. A cela s'ajoute une influence futuriste avec la récurrence de la figure triangulaire et d'une abstraction géométrique ou kaléidoscopique. Le dernier plan, quant à lui, semble être inspiré du travail de Böcklin avec cette figure insulaire centrale.


Brutale et sans compromis, la musique s'adapte au contexte et se fait plus nerveuse que jamais. Knocked Loose n'a jamais eu autant recours à la dissonance, aux panic chords et aux changements de rythme. La tension et la colle du metalcore suintant sont omniprésentes, faisant de l'écoute des 21 minutes une expérience dense et éprouvante. À ce titre, la participation de Matt King - chanteur de Portrayal of Guilt et dont l'univers est tout aussi noir et menaçant - sur "God Knows" tombe sous le sens.
Par l'extraordinaire homogénéité thématique et musicale, le groupe du Kentucky livre un EP qui fera probablement date dans l'histoire du style et qui recueille déjà des critiques élogieuses. Plus encore, des projets comme celui-ci redore le blason du metalcore, genre souvent moqué ou incompris.
Finalement, "A Tear in the Fabric of Life" est une oeuvre qui est en réalité un peu plus qu'un simple accroc dans la trame du style.


Créée

le 20 déc. 2021

Critique lue 135 fois

2 j'aime

Raton

Écrit par

Critique lue 135 fois

2

Du même critique

Kaamelott - Premier Volet
Raton
4

C’est un vrai piège à cons c’t’histoire-là

Je viens de sortir de la dernière avant-première de la journée au Grand Rex donc autant en profiter pour évacuer toute ma frustration et mon épuisement. Déjà, j'aurais dû me douter qu'une AP de...

le 21 juil. 2021

45 j'aime

13

NFR!
Raton
9

Tendre prière à la pop culture

Il ne serait pas peu dire que j’attendais cet album de pied ferme. La douce Lana nous a fait patienter pendant presque un an entre la publication du premier single (« Mariners Apartment Complex » en...

le 4 sept. 2019

41 j'aime

6

Honeymoon
Raton
9

Souvenirs d'une fin d'été en Californie

Lana del Rey a du talent, il est maintenant impossible de le nier. Très critiquée à ses débuts et avec le succès de son "Born to Die", Lana a été prise pour une de ces artistes charmantes mais peu...

le 22 sept. 2015

30 j'aime

6