Superbe compilation d’un artiste unique

Nick Drake fait partie de ces « artistes maudits », ceux qui avaient un talent monstre mais qui n’a jamais été reconnu de son vivant. Il est mort en 1974 à 26 ans d’une surdose d’antidépresseurs, après une poignée d’albums sublimes passés inaperçus, sans qu’on sache si cette mort est un suicide ou un accident. Il a fallu attendre les années 80 et même surtout 90 pour que des fans célèbres comme Robert Smith, Kate Bush, Ben Harper répètent tout le bien qu’il pensait de cet artiste et sa musique a même été utilisée dans un spot de pub pour une marque allemande...Ce qui a permis sa redécouverte, et même découverte tout court pour la grande majorité du public. Et là, ce fut un choc : un vrai poète, sensible, fin sur des arrangements jazz et folk subtils. Avec la sortie de plusieurs compilations, et de quelques inédits, on redécouvrait Nick Drake et ces albums magiques que sont « Five Leaves Left » (1969) et « Pink Moon » (72). J’ai toujours classé « Bryter Layter » à part. Cette compilation, « A Treasury » est parue en 2024 et contient ses plus belles chansons tirées de ses 3 seuls albums. Elle ne remplace en aucune manière l’écoute de ses albums mais elle peut être une bonne introduction à son œuvre (réduite mais grandiose).

Après "Introduction", l'album démarre vraiment avec "Hazey Jane II", qui est peut-être la chanson la plus optimiste de Drake, bien qu'il s'agisse en fait d'une condamnation claustrophobe de la vie urbaine : " And what will happen in the morning » nous interroge Drake « When the world, it gets so crowded/ That you can't look out the window in the morning? ». La chanson est tirée de « Bryter Layter », le deuxième album de Drake, qui a coïncidé avec l'arrivée du jeune provincial à Londres, et l'orchestration plus étoffée amène un autre regard après le dépouillement extrême du début. Le côté poignant du morceau d'ouverture n'est éclipsé que par "River Man", sublime. Comme "River Man", "Cello Song" est tiré de « Five Leaves Left », et incorpore l'instrumentation baroque qui a marqué cet album sans étouffer le jeu de guitare souple de Drake et ses inflexions veloutées et fredonnées. Sur "Hazey Jane I", la relation de Drake avec la bande de musiciens de studio (une partie de Fairport Convention en particulier) qui l'ont accompagné sur « Bryter Layter » atteint son apogée excessive, mais une fois de plus Drake brille : au milieu d'un tourbillon de cordes surmenées à la Morricone et d'une batterie tympanique tonitruante, Drake livre l'une de ses parties de guitare les plus distinctives, une ligne rusée et galopante qui évoque l'Ouest américain. Bien sûr son mal-être est perceptible dans des chansons comme « Way to Blue » et « Northern Sky » mais ce qu’on retient surtout de son œuvre, c’est la beauté profonde et addictive, l’alliance de textes et de musiques qui vous emportent comme peu d’artistes ont su le faire. Alors, bien sûr, comme toute compilation, on peut critiquer non le choix des titres (magnifiques) mais le fait de les extraire des albums qui avaient chacun une couleur, une ambiance bien particulière. Mais le talent de Drake y est immense, et si elle peut permettre à des néophytes d’aller écouter ses 3 albums, pourquoi se priver ? Ils sont d’ailleurs réunis dans un coffret de 1986 « Fruit Tree : the complete recorded works » avec un album alors d’inédits, qui est un indispensable à toute CDthèque.