A peine 8 mois après avoir enregistré leur premier album "Freak Out", Frank Zappa et ses Mothers of Invention décident d'à nouveau entrer en studio. Il décide d'élargir la composition de ses Mothers, en faisant appel entre autres à deux musiciens qui marqueront le futur de la formation : Don Preston aux claviers et à la basse et Bunk Gardner au saxophone ténor et aux bois.


Mais ce qu'il n'avaient pas prévu, c'est qu'ils n'auront que 4 maigres séances de 6 heures pour réaliser l'enregistrement de l'album, mixage et montage compris ! Cela semble impossible, mais c'est mal connaître Zappa. Il proposera de longues séances de répétitions pour perdre le moins de temps possible en studio afin d'être prêts le jour J. Le style de l'album s'en ressentira, la signature de l'album étant l'urgence, cela donnera également à l'album une impression de modernité.


Beaucoup de choses différencient cet album du précédent, d'abord on ne retrouve plus que deux chansons parodiques, là ou "Freak Out!" (double album) en proposait un vinyl entier composé de 9 morceaux. La première (Son of Suzy Creamcheese) est un morceau de pop rock, qui par la même occasion inaugure ce que Frank Zappa appellera plus tard sa continuité conceptuelle, Suzy apparaissant déjà sur le premier opus. Le second morceau (Status Back Baby) est une sorte de doo-wop pour enfants désinvolte qui se termine de façon paroxystique. Puis c'est tout, exit les collages, triturations électroniques expérimentales qui constituaient la majeure partie du second vinyl. Il garde malgré tout l'esprit contestataire du morceau "You're probably Wondering why I'm Here" sur le morceau d'introduction "Plastic People", poussant la composition musicale beaucoup plus loin. En effet, le morceau, basé sur la chanson "Louie Louie" de Richard Berry est incisif, riche, passe d'un rythme à l'autre en permanence, s'arrêtant brusquement, puis redémarrant, incluant des dialogues entre les phrases musicales, (j'ai noté pas moins de 16 interruptions sur les 3'42" que fait le morceau), c'est finalement une sorte d'oratorio qui donne ainsi le ton pour le reste de l'album.


La musique qu'ils nous proposeront sera complexe, un mélange complet des genres, on passera d'un morceau de soul jazz soft (Duke of Prunes) à une chanson de crooner loser (America Drinks), en passant par un rock déjanté (Uncle Bernie's Farm), mais ce n'est pas tout, l'humour est percutant, par moments absurde, des histoires de prunes, de légumes, potirons, mais qui en fait se réfèrent aux écoutes téléphoniques et le langage codé.


Ce qu'il faut savoir, c'est que l'album, malgré son apparence bordélique, (mais on sait pourquoi), est avant tout conceptuel. On a affaire à une musique à rebondissements, contrastée, intercalant des blagues, des sketches, ... comme un oratorio, mais underground.


L'album est divisé en deux parties : la face A (Absolutely Free), elle-meme composée de deux sections : la suite "Duke of Prunes" et la "Vegetable Suite" et la Face B (The Mothers of Invention American Pageant).


La partie "Absolutely Free" (Face A) est l'une des pièces les plus difficiles que Frank Zappa ait jamais écrites, suite à tiroirs mêlant collages musicaux faisant référence à Stravinsky précédés d'une voix de velours amenée jusqu'à son paroxysme, un blues-rock pouvant rappeler Captain Beefheart, beaucoup de non-sens, finalement un foisonnement d'idées nous donnant l'impression d'être en Absurdie !


La seconde partie "The Mothers of Invention American Pageant" est dans l'ensemble un peu moins captivante, c'est moins entremêlé, on assiste à une classique succession de morceaux ayant chacun une approche différente. Il y a quand même deux choses à en retenir :
D'abord le morceau "America Drinks" et sa suite finale "America Drinks & Goes Home" , dont je soupçonne que The Residents se sont inspiré. Une chanson d'amour à la voix improbable se termine sur une musique cartoonesque pour le premier morceau, le disque se terminant sur une ambiance de cabaret farfelue. Puis pour terminer le fameux morceau "Brown Shoes don't make it", un blues déjanté, proche du Captain Beefheart, satire sur la vie politique et sociale américaine de l'époque, complètement délirant, morceau complexe qui est pour moi, un condensé de ce que sera sa musique les cinq années qui suivront. Pour ce morceau aussi, le spectre des Residents m'est apparu plus d'une fois.


L'orientation générale de l'album est finalement très connotée jazz-rock débridé, d'ailleurs le morceau le plus sérieux de l'album est un instrumental (Invocation and Ritual Dance of the Young Pumpkin), un des premiers exemples de jazz-rock fusion, qui préfigure les recherches musicales des Soft Machine. Mais on y trouve aussi les premières traces de ses recherches formelles de musique dite "sérieuse". Finalement l'album nous donne une impression de labyrinthe musical, ce qu'est finalement, aussi, l'univers de Frank Zappa. Je ne peux donc que fortement recommander ce disque à tout véritable fan de Zappa.


P.S.
A noter que la réédition en CD, s'est vu adjoindre deux morceaux en plein milieu des face A et B : "Big Leg Emma" et "Why Don'tcha Do Me Right ?", qui sans être inintéressants n'ont rien à voir avec l'idée de départ. Ce sont deux morceaux de rhythm 'n' blues un peu idiots comme il aimait en créer.

PiotrAakoun

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8

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