Cet album est à la fois l'objet le plus étonnant, insaisissable et déstabilisant qu'il m'ait été donné d'entendre depuis bien longtemps. Et c'est finalement logique puisqu'il aura mis 17 ans, entre le début du projet, son enterrement, et sa résurrection finale, à arriver jusqu'à nous. Cela donne quelque chose d'improbable, entre collaborations avec des artistes aujourd'hui disparus (Daniel Darc, Christophe et Philippe Pascal), d'autres disparus des radars et extrêmement typés années 80 (Simon Le Bon et David Sylvian notamment) et enfin ceux qui sont toujours bien présents dans le paysage musical français (Benjamin Biolay, Étienne Daho ou encore Gaëtan Roussel).
Difficile de s'y retrouver donc, d'autant plus avec nos oreilles d'aujourd'hui, dans cet amas de personnalités, de sonorités, d'époques. On saisit bien la volonté initiale d'Obispo, compositeur de l'ensemble des morceaux mais aussi (malheureusement) interprètes sur plusieurs d'entre eux : faire dans le japonisant. Oui mais voilà, lorsque la volonté de faire finalement aboutir le projet est survenue il a fallu compléter l'album avec de nouveaux duos, et ce qui aurait pu tenir du concept s'est apparemment perdu. Ce qui n'est pas en soi un problème, car là où l'ensemble perd en cohérence il peut gagner en surprises.
J'évacue rapidement le problème Obispo qui incapable de rester en retrait vient selon moi pourrir plusieurs morceaux, parfois même s'incruste au milieu de duos qui auraient pu être magnifiques. D'autant plus dommage que, une fois n'est pas coutume, ses paroles sont souvent suffisamment énigmatiques ou simplement inspirées pour s'adapter remarquablement à Isabelle Adjani et son harem. Autre bon point : avoir su s'entourer et faire appel à Cécile Léogé, alias DeLaurentis, petite-fille du célèbre producteur de films italien, qui permet à la plupart des titres de se décaler, emballés dans des nappes synthétiques et planantes.
Mes oreilles sont ce qu'elles sont, éduquées à la musique des années 80, alors j'ai forcément aimé entendre ressurgir des fragments de Japan, Bauhaus, Duran Duran, Taxi Girl et Marquis de Sade, la classe éternelle de Daho m'a touché, et bien entendu j'ai adoré réentendre les vois d'Isabelle et Christophe se répondre à nouveau ; les amoureux du bonhomme n'ont pas oublié "Wo wo wo wo" sur l'immense "Aimer ce que nous sommes". Certains mariages m'ont semblé heureux, avec Biolay par exemple, d'autres complètement à côté, comme avec Akhenaton, ou d'une trop grande banalité (Roussel).
Alors ceux qui attendaient comme moi le second album de la dame depuis 40 ans vont-ils être comblés ? J'aurais tendance à répondre instinctivement non car un album de duos est dans mon esprit d'emblée un constat d'impuissance, une solution de repli pour ceux qui n'ont plus grand chose à dire ou qui doivent remplir leur contrat avec une maison de disques. Non aussi car une partie de l'album est quasiment inécoutable à cause de celui sans qui il n'aurait justement pas existé. Et on tient là le qualificatif qui colle le mieux à cette "Bande originale", qui l'est parfois totalement et parfois pas du tout, originale : schizophrène. Car noyée entre conformisme d'une certaine variété française et véritable aventure musicale sophistiquée.
Et OUI, 100 fois OUI, car pour rien au monde je n'aurais voulu éviter ces 14 plages, car à chaque seconde la voix d'Adjani est bouleversante, contrant ou épousant avec dextérité celle d'en face, modulant ou effaçant au besoin la « vulgarité » de celle-ci. J'aurais voulu pouvoir isoler la voix de cette Reine (Margot), en faire un morceau géant, où elle aurait pu jouer sans fin. Comme une actrice...