Aerial
7.4
Aerial

Album de Kate Bush (2005)

EMI doit se frotter les mimines ! Douze ans d'absence auront transformé Kate Bush en un peu plus qu'une simple icône pop : un véritable mythe, mystérieusement retranché dans son cottage du Reading pour élever sa petite famille, observer le monde et le temps qui passe. Folle, pas folle ? La légende est à ce prix. De quoi attiser les rumeurs à l'annonce de son retour après le mal aimé "Red Shoes" en 92. De quoi avoir un petit peu peur également tant les histoires d'amour finissent habituellement mal.

Entre temps, la grande prêtresse (sorcière ? fée ? cochez la case appropriée) rock aura montré la voie aux Björk, Goldfrapp, Fiona Apple, Tori Amos et j'en passe sans qu'aucune ne puisse rivaliser avec cette fragilité perchée sur un fil.

Beaucoup d'étoiles seront nées ou mortes dans le ciel en attendant cet "Aerial"... un double album feutré, très personnel et d'une grande sérénité. Emilie Brönté, Lewis Carroll, le Pays Imaginaire, Orphée ou la grand mère russe (Babooshka pour les intimes) : autant de fantômes remisés au placard du passé.

"Hem of anorak, stem of wallflower, hair of doormat..."

Témoignages d'une isolation volontaire, loin de la célébrité étouffante, le reggae post-moderne "King of the Mountain" (écrit aux alentours de 1996) s'impose d'entrée comme une ode lancinante sur la solitude des grands (Elvis est cité, Citizen Kane en ligne de mire), tout comme le raffiné "How To Be Invisible" où elle se moque gentiment de son propre cas. Un bonne chose de faite !

A travers une orchestration intemporelle signée du regretté Michael Kamen (dont ce fût l'un des derniers travaux), nous voyageons, bercés par les vagues de l'obsessionnel-autiste "PI" (et sa suite ininterrompue de chiffres jouant les funambules sur de savoureuses pulsations d'orgue) et le piano voix mélancolique d'une femme esseulée devant sa machine à lavée sur "Mrs Bartolozzi".

"I watched them going round and round / My blouse wrapping itself round your trousers..."

Les nappes de synthés s'entremêlent telles des racines dans un style prolongeant l'horizon de grands écarts miraculeux - passages escarpés purement renaissance ("Bertie" en sucrerie pour le fiston) ou raffinerie transversale avec des faux airs de Peter Gabriel (forcément) sur le funky "Joanni" (dédié à Jeanne d'Arc). Ponctué par "A Coral Room", chef d'œuvre d'émotion brute, ce premier disque finis de nous étreindre, sans grandiloquence, tour à tour sensuel, rugueux et délicat.

A la manière du monumental "Hounds of Love", le second volume permet de distinguer sa pièce montée conceptuelle "A Sky of Honey" - une délicieuse plongée dans l'introspectif. Métaphores à foison. Kate parle aux oiseaux, murmure avec ses enfants. L'ambiance est posée - elle nous emporte. Les chaussures rouges sont rangées. Nous dépassons le simple cadre des ritournelles ultra personnelles.

"That bit there, it was an accident / But he's so pleased / It's the best mistake he could make / And it's my favourite piece..."

Un accord de piano, une basse finement tricotée renforce des mélodies lumineuses ("An Architect's Dream"), acidulée ("Somewhere in Between") ou flamenco-jazz de ("Sunset"). Le soleil, la pluie... quelque chose qu'elle seule semble pouvoir encore produire aujourd'hui. A la fois si simple et si profond.

Point d'orgue, une merveille de rythmique hypnotique (un "Nocturn" bleu profond) et l'emballement des chœurs en guise d'incantation finale avant la dernière envolée marteau piquée de guitares saturées où flottent les souvenirs du mentor David Gilmour.

"Up, up on the roof, in the sun..."

Bien entendu, certains resteront sur le pas de la porte. Comme si toutes ces années n'avaient fait que diluer le propos, perdu dans la cendre d'un talent consumé avec passion. Pourtant, "Aerial" revient nous hanter, quand la lune est pleine, le ciel grand ouvert, quand la transformation à fait son œuvre - Kate Bush se présente ici sans fard, vulnérable et sereine. En attendant demain et sa petite mélodie pleine d'espièglerie.

Pas encore mûre pour l'embaumement, voici un film intimiste dont le ruban superbement emballé dans un écrin de velours serait notre propre imagination. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté... Baudelaire aurait approuvé.

http://www.amarokprog.net/critiques_4613_200503.html
AmarokMag
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le 13 janv. 2012

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