Décidément, la première moitié des années 1990 est une période passionnante. Entre l’apparition de l’IDM, les prémices du post-rock, le tsunami grunge ou encore la transition entre le shoegaze et la britpop en Grande-Bretagne, il n’y avait pas de quoi de s’ennuyer. C’est justement ce dernier événement en particulier qui nous intéresse aujourd’hui.
Le shoegaze est peut-être un genre arty qui a beaucoup souffert à cause de sa volonté d’innover (ne parlons pas de prétention, les shoegazers restent des gens timides), il a néanmoins préparé le terrain pour l’arrivée de la britpop. Genre bien plus poseur et superficiel, mais aussi plus charismatique et efficace que ces étudiants effacés et bien trop occupés à faire du bruit plutôt qu’à écrire des tubes.
Pourtant, il existe des groupes capables de faire le lien entre ces deux styles complétement opposés. Je ne fais pas allusion aux débuts de Blur et d'Oasis qui n’hésitaient pas à se faire bruyants, mais étaient déjà fondus dans cette attitude crâneuse qui fera les choux gras de la presse à scandales. Le chainon manquant n’est autre qu’Adorable, une petite bande signée chez Creation, grand label fondé par Alan McGee, spécialiste dans tout ce que le rock indépendant pouvait compter de meilleur (My Bloody Valentine, Primal Scream, Felt…).
Ironie du sort, Adorable sombrera dans l’oubli alors qu’ils ont inspiré deux groupes britpop qui marqueront durablement leur époque : Oasis et Suede. La morgue des premiers et le romantisme exacerbé (et parfois sombre) des seconds se rencontrent ici, sur ce disque pouvant facilement être qualifié de chef d’œuvre oublié, sans exagération.
Le single « Sunshine Smile » avait placé la barre très haute et l’arrivé de ce premier album ne déçoit pas. Against Perfection porte très mal son titre puisqu’il est parfait. Il n’y a aucune chanson faible et tout ce qui fait une bonne musique est présent. Les mélodies splendides sont chantées par un chanteur original (le Polonais Piotr Fijalkowski), aussi convaincant dans un registre intimiste (« Still Life ») que dans des cris jouissifs (« Sistine Chapel Ceiling »).
Puis viennent les guitares et c’est un régal : elles s’emportent dans des embardées jouissives à coup de riffs incroyablement efficaces (écoutez-moi ce « Crash Sight » dont le riff aurait très bien pu être écrit par les Pixies). Mais Piotr et son compère Robert Dillam sont aussi des gens dotés d’une grande finesse. Leurs instruments, sur « A to Fade in » et « Cut #2 » évoquent la 6 cordes étincelante de Johnny Marr, ce qui n’est pas la moindre des références.
Adorable ne fera jamais aussi bien que ce disque hors-norme. Forcément, ils avaient placé la barre bien trop haute. C’est peut-être pour cette raison qu’ils ne trouveront jamais un écho chez un public décidément trop effrayé par les distorsions de guitares.
A la fois tiraillé par ses envies romantiques (« Breathless ») et de rock furieux (le punk saturé de « Favourite Fallen Idol »), Against Perfection restera ce disque avec une rose en feu. Cette image montre qu’exhiber ses sentiments en faisant le plus de boucan possible était très mal vu en 1993.
Mais cela n'est plus le cas maintenant. C’est donc désormais à vous de réparer cette injustice en écoutant cette merveille.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.