C'est un Rory Gallagher enfin reconnu qui rentre en studio à Londres au milieu des années 1970 pour y enregistrer son cinquième album Against The Grain, un titre indiquant que le génie irlandais ne suit pas les modes glam ou hard du moment, mais reste fidèle à ses racines blues, folk, rock et jazz.
Tout juste sorti de l'Irish Tour, il n'a pas le temps de s'ennuyer. En plus de changer de label, quittant Polydor pour l'indépendant Chrysalis, montrant ainsi sa volonté de rester le plus indépendant, il va boire quelques whiskys avec Keith Richards et les Stones qui cherchaient alors un remplaçant à Mick Taylor. Enfin, pour rien au monde on ne se serait privé de la carrière solo du génial Irlandais pour le retrouver enfermé dans un groupe, aussi bon pouvait être celui-ci.
Enfin, pour en revenir à Against the Grain, s'il n'est pas le plus connu des albums de Rory, il n'en reste pas moins remarquable. En plus d'une réelle cohérence entre tous les morceaux, d'une alchimie entre les musiciens, il y a cette impression que dégage l'album, une authenticité et comme si on était dans un pub de Dublin, avec Rory dans un coin, un whisky dans une main et un groupe jouant la meilleure des musiques dans une ambiance chaleureuse et bluesy. L'Irlandais, n'oubliant pas d'apporter son harmonica, joue ici avec le groupe avec lequel il tourne depuis trois ans, avec Gerry McAvoy, son bassiste de toujours, Rod De'Ath à la batterie et Lou Martin aux claviers.
La production est parfaite pour le style de Rory, assez minimaliste pour se rapprocher d'un son brut, parfois proche du live. A l'exception de trois reprises, l'Irlandais compose tout l'album, il est inspiré, tant dans la création des chansons que dans ses solos (et il en est de même pour ses musiciens), sachant jouer juste, se lance dans de longs solos ou au contraire être minimaliste lorsque cela est nécessaire.
Open up and let me in
Yeah ! La première face s'ouvre superbement avec le rock nerveux Let Me In. La voix rauque de Rory s'impose déjà, la basse et la guitare s'alignent bien quand cette dernière dialogue génialement avec un le piano. Cross Me Off Your List mêle les influences jazzy du groupe avec un côté plus rhythm 'n' blues, il fait, là aussi, des merveilles avec sa guitare et confirme qu'il nous emporte bien dans son univers avec Against the Grain. Plus calme, Ain't Too Good est une belle chanson, à défaut d'être réellement marquante et sert de transition avec l'immense Souped-Up Ford. Pour cette dernière, qui est un hommage de l'Irlandais à sa Ford, c'est tout simplement six minutes de bonheur, il s'éclate avec son bottleneck finissant même par annoncer Lou Martin pour le solo de piano, alors que le batteur et le bassiste sont particulièrement déchaînés.
Pour conclure cette première face, Bought And Sold revient vers des racines blues, joue sobrement de la guitare pour un magnifique solo et évoque la fin de son premier groupe Taste. La seconde face s'ouvre avec I Take What I Want, reprise d'Isaac Hayes qu'il joue à sa sauce. De manière générale, il s'amuse, sa voix est toujours superbe et en adéquation avec sa musique, et on ressent à nouveau cette sensation de bar, de son brut et d'un musicien apportant de l'Irlande, sa contrée natale, dans sa musique.
Raise the sails and leave
C'est ensuite l'intrigante et fascinante Lost At Sea, une véritable pépite folk-rock où le guitariste puise dans ses origines irlandaises, évoque l'amour d'un marin perdu en mer et il rappelle aussi que la Mer n'est jamais bien loin, et toujours présente dans l'esprit. Elle rappelle les rivages et il fait des merveilles avec sa guitare, rendant la chanson fascinante, bien aidé par le piano de Lou Martin. Cette seconde face est une merveille, comme le confirme All Around Man, reprise de Bo Carter, un blues-rock ravageur, le genre qui file des frissons à chaque écoute, l'harmonica et le piano y sont particulièrement superbes.
Come a cow-cow yicky, yicky yeah
L'Irlande n'est jamais loin, il le rappelle brillamment avec Out On The Western Plain reprise de Leadbelly nous emmenant tout droit dans les saloons de l'Ouest, rappelant que sa Terre d'origine à elle aussi participer à la conquête de l'Ouest. C'est un superbe folk, avec une guitare brute et sèche, une ambiance forte et un Rory s'amusant au cow-boy. L'album se termine plus calmement avec le folk At The Bottom, une belle chanson concluant sur une note douce. Les rééditions auront rajouter deux titre bonus, le sympathique jam Cluney Blues et surtout My Baby, Sure, nous renvoyant une dernière fois dans une ambiance saloon pour un hommage au label Sun et à Elvis.
Rory Gallagher confirme sa nouvelle réputation avec Against the Grain, remarquable cinquième album studio où il ne cède pas aux tendances actuelles, ne reniant pas ses origines blues, rock, folk et jazz, tout en apportant de l'Irlande dans sa musique. Il n'y a rien à jeter, c'est brut et beau à la fois, émouvant parfois et surtout capable de te filer des frissons, quelques grands morceaux viennent sublimer l'album où le guitariste virtuose et son groupe se montrent à la hauteur et nous emmènent, avec eux, au fond d'un bar d'un Dublin pluvieux, whisky en main pour partager sa sainte musique.
Face A :
Let Me In
Cross Me Off Your List
Ain't Too Good
Souped-Up Ford
Bought And Sold
Face B :
I Take What I Want
Lost At Sea
All Around Man
Out On The Western Plain
At The Bottom
Bonus :
Cluney Blues
My Baby, Sure