Tiens, voilà un instant que je n'ai jamais oublié : on est en mai 1976, j'achète - malgré une pochette hideuse - et, rentré chez moi, je pose "Agents of Fortune" sur ma platine : après une intro tout-à-fait dans la ligne des trois premiers albums du Blue Öyster Cult (This Ain't the Summer of Love), j'entends True Confessions. Je suis stupéfait, horrifié même : mes tueurs new yorkais sonnent désormais comme un groupe de soft rock californien ! Décidément, on ne peut faire confiance à personne...
Il faut bien avouer que je ne me suis jamais remis de cette déception affreuse, et que j'ai toujours du mal à écouter, sans même parler d'aimer, cet Agents of Fortune, un album que tout le monde juge plutôt honorable... Un album qui contient en outre Don't Fear the Reaper, une chanson que je trouve toujours magnifique, dont je ne me suis jamais lassé, après des centaines (au bas mot) d'écoutes. Un album qui renferme en outre sur sa première face deux morceaux intéressants : ETI, plutôt mal produit ici, mais qui deviendra un classique du groupe sur scène, Vera Gemini, avec la présence précieuse de la grande Patti Smith. Un album largement dû à l'indiscutable talent de compositeur d'Albert Bouchard, qui a écrit la moitié de ses chansons. Mais aussi un album dont la seconde face, constituée de chansons "pop" aux mélodies sympathiques mais vraiment trop "gentillettes", me semble toujours aussi... banale.
Agents of Fortune, c'est, plus que le virage inattendu d'un groupe que nous percevions comme "extrémiste" vers le mainstream, la révélation que l'objectif de ces musiciens brillants avait toujours été de devenir les Byrds de la côte Est : rien de honteux à ça, bien au contraire, d'ailleurs. Mais ce sentiment difficile à dissiper de tromperie sur la marchandise.
Heureusement, le futur du BÖC, une fois acquis ce positionnement "commercial", nous réservait encore de bons moments... (Mais alors, ce p... de True Confessions, je n'y suis jamais arrivé ! Allen Lanier, je t'adore et je te regretterai toujours, mais là, tu m'as joué un tour pendable...)
PS : le fait qu'Eric Bloom, qui représente pour moi la véritable "âme" du groupe, n'ait composé aucun morceau sur Agents of Fortune me semble terriblement symptomatique, non ?
[Critique écrite en 2021]