Aï, sorti fin 1985, confirme l’ouverture aux rythmes et instruments du monde,
mais témoigne aussi d’une certaine démesure, représentée sur la pochette par un
géant Higelin électrisant Paris. Il s’agit à l’époque d’un double vinyle, qui
aurait gagné en cohérence à être scindé en deux, voire allégé en un seul. Des
directions radicalement différentes se côtoient en effet, avec des sons beaucoup
trop diversifiés, peut-être parce que les enregistrements ont eu lieu dans
plusieurs studios, dont le château d’Hérouville pour la dernière fois. Ainsi, à
part les deux excellents titres d’ouverture, le premier disque (jusqu’à
“Broadway”) contient des morceaux essentiellement conceptuels, trop
théâtralisés. Les textes, souvent parlés, lorgnent sur Gainsbourg sans l’égaler,
tombant dans le burlesque voire le ridicule. Les musiques partent dans tous les
sens, avec une utilisation trop appuyée de synthétiseurs et autres boites à
rythmes qui donnent un aspect toc. Le second disque est plus agréable, même si
les arrangements sont toujours aussi lourds. Sous les strates de sons
superposés, on sent pourtant de véritables bonnes chansons : “Mamy”, “Adios”,
“Victoria”, et surtout “La Croisade Des Enfants”, “Aï” et “Serre-Moi”. Pour ces
deux dernières, l’influence de l’enregistrement en Espagne est clairement
marquée. Dans l’ensemble, comme semble le confesser lui-même Higelin, Aï est un
“Excès De Zèle”, où tout est beaucoup trop excessif. Cependant, une petite
moitié des titres est de bonne facture et aurait pu constituer un excellent
album sans tous ces effets synthétiques.