M.I.A. est incontestablement l’une des artistes les plus controversées et les plus provocantes de ces quinze dernières années. Si depuis la sortie de /\/\ /\Y/\ en 2010 elle semble plus avoir déplacé ses provocations dans ses interviews, ses performances (on se rappelle de son doigt d’honneur au Super Bowl), ses clips, ses choix vestimentaires ou tout simplement ses tweets, ce qui lui a valut une présence médiatique importante même lorsqu’elle ne faisait pas de musique. Trois ans après Matangi, un album spirituel mais pimenté, M.I.A. annonce AIM, son cinquième et “dernier” album qu’elle veut garder résolument fun et reflétant son état d’esprit actuel : le fait d’avoir enfin trouvé la paix et le bonheur.
AIM est né d’une réflexion que l’artiste a eu en repensant à ses anciens travaux, et particulièrement son premier album Arular. En 2005, M.I.A. parlait de problèmes qui nous semblaient quelque peu lointains : le Sri-Lanka ne faisait pas forcément les grands titres des journaux occidentaux, la question des réfugiés ne se posait pas vraiment, le terrorisme était une menace qui semblait plus occasionnelle qu’omniprésente, la technologie et l’Internet n’avaient pas la même la place dans la société et l’idée d’un génocide paraissait invraisemblable. Comme le souligne la rappeuse, ce dont elle parlait sur Arular et Kala est aujourd’hui très présent dans notre société, dans les médias et dans nos discussions. Que pourrait-elle ajouter de plus ? Que pourrait-elle dire pour alimenter un débat dont elle semble avoir été une des précurseuses ? L’ambition de M.I.A. n’était pas dans ces questions, c’est en imaginant l’album dont les gens auraient besoin dans ces temps de trouble, après une transformation involontaire, qu’est né AIM.
Le cinquième opus de M.I.A. est conçu comme un voyage. De la traversé d’une frontière sur Borders au “swan song’ qu’est Survivor, il semble que l’histoire que raconte l’artiste tamoule est avant tout la sienne. Beaucoup des sujets évoqués sur AIM sont récurrents dans la carrière de Maya Arulpragasam, gardant comme thème principal l’immigration : le voyage et la difficulté des réfugiés à atteindre un pays d’accueil (Borders, Jump In), la dure labeur des immigrants afin de survivre (Ali R U Ok ?) ou leur façon de s’inclure dans une société occidentale qui cherche à supprimer leurs origines (Foreign Friends), tout en critiquant l’hypocrisie de celles-ci (Platforms) ainsi que la réaction des médias et du public face à son franc parler ou ses récentes controverses (Talk, Fly Pirate). Si le concept a beaucoup de sens et que M.I.A. semble y signer quelques unes de ses meilleures réflexions, elle tombe trop facilement dans l’égo-trip ou dans la mièvrerie pop. On regrettera particulièrement le manque de profondeur de morceaux prometteurs tels que Foreign Friends ou Freedun.
Les productions sont admirablement effectuées. Dès que M.I.A. a commencé à teaser AIM, il était clair que le son serait plus pop et plus mainstream que sur ses précédents efforts. L’artiste voulait avant tout prendre du bon temps à créer sa musique (pour la première fois de sa carrière selon ses dires), collaborer avec des producteurs et des artistes qu’elle appréciait (Rihanna et Popcaan ont été impliqués dans le projet). C’est donc des productions beaucoup plus accrocheuses qu’a l’accoutumée qu’offre la rappeuse et ses collaborateurs même si, comme dans les thèmes lyriques de l’album, on a l’impression de retrouver un peu de tout ce qui a fait la carrière de M.I.A..
L’album est produit en très grosse partie par le collaborateur régulier de la rappeuse, Blaqstarr,, l’alchimie entre les deux artistes fonctionnant toujours à merveille. AIM signe les retrouvailles de M.I.A. avec Richard X - qui avait déjà oeuvré sur Arular et qui co-produit le morceau le plus typique de la chanteuse grâce à ses sonorités world, Ali R U Ok ? - et surtout avec Diplo. Couple infernale de la musique électronique underground (vraisemblablement à present de la pop urbaine), Maya Arulpragasam et Thomas Wesley Pentz nous offrent une version alternative du Bird Song originellement produit par Blaqstarr. Si la version plus posée et plus directe de celui-ci se base surtout sur un son électronique et original de kazoo, la version de Diplo ne reprend que l’introduction de Blaqstarr avant d’exploser dans un son beaucoup plus efficace et festif, influencé de dancehall et dominé par un riff de guitare accrocheur.
Aussi présents aux crédits de l’album sont l’artiste jamaïquain Dexta Daps, qui fait une apparition éclaire sur Foreign Friends (mais qui apporte quelque chose de plus fort à une production un peu monotone), et l’ex-One Direction Zayn Malik. L’artiste d’origine pakistanaise apparait sur Freedun, le morceau probablement le plus mainstream de AIM et qui traduit le mieux le sentiment de paix et de bonheur que souhaitait instaurer M.I.A.. L’alliance surprenante mais cependant très logique entre les deux artistes fonctionne réellement bien, la rappeuse produisant un de ses meilleurs flows de l’album (malgré des paroles peu intéressantes) et le chanteur fournissant une performance vocale influencée de raga, technique qu’il a déjà exploité sur son album de cette année, Mind Of Mine. Des collaborations qui font oublier l’échec de celle avec Fakear sur Finally, ou bien celle en semi-teinte avec Skrillex. L’artiste américain intervient sur A.M.P. (All My People) qui se réconcilie avec les sonorités bruyantes de /\/\ /\Y/\ ou de Matangi (desquelles on se serait bien passées pour le coup), ou les percutants Talk et Go Off. Ces morceaux ne sont en aucun cas mauvais, ils remplissent d’ailleurs bien leurs promesses d’être de la bonne musique urbaine mainstream, fun et très accrocheuse. Mais si leur efficacité sur le moment est indéniable, ce ne sont pas des chansons sur lesquelles on reviendra à l’opposé des précédents efforts de M.I.A..
Et d’ailleurs, c’est peut-être là le problème de AIM : le disque est très efficace, il fait passer son message et nous offre une sorte de retrospective pop du travail de l’artiste mais il n’offre rien de véritablement mémorable. Le cinquième album de M.I.A. est très fun, quelque chose de très réjouissant après les deux derniers opus de la rappeuse où elle se prenait trop au sérieux(*). C’est en soit un très bon album de pop urbaine, un virage mainstream superbement amorcé aux productions de haut calibre admirables (Bird Song, Ali R U Ok ? et même le pourtant très passable Jump In) et au contenu politique omniprésent sans en être étouffant. Pourtant AIM apparaît seulement comme un chapitre de plus dans la carrière de M.I.A. au lieu d’être une oeuvre à part entière, n’ajoutant absolument rien de nouveau. On ne peut pas en vouloir à la rappeuse : après une carrière comme la sienne, un chapitre pop décomplexé et fun ne peut faire que du bien. D’autant plus que Maya Arulpragasam nous offre par moment un véritable retour aux sources qu’on attendait depuis quelques temps.
Le projet de M.I.A. sur Arular était d’adopter un discours engagé sur de la musique dansante dans le but de faire bouger les clubs sur un message politique. Si AIM n’a pas la profondeur ou la complexité du premier opus de la rappeuse britannique, il s’inscrit quand même dans ce projet, sans rien y ajouter de plus mais en le revisitant brièvement sur des rythmes pop. Un album ouvert à tous mais avant tout dédié aux fans et qui nécessite de connaître l’oeuvre complète de M.I.A. si on veut comprendre la célébration et les quelques subtilités qui habitent le disque.
Key tracks : Borders, Ali R U Ok ?, Bird Song dans ses deux versions.
(*) Je ne sous-entend en aucun cas que /\/\ /\ Y /\ et Matangi étaient de mauvais albums, /\/\ /\ Y /\ étant probablement mon album préféré de M.I.A., ou du moins celui que je trouve le plus fascinant.