aimée
6.2
aimée

Album de Julien Doré (2020)


Oh là là, oh là là



Sers-moi de l'amour dans un verre de pastaga



Oh là là, oh là là



On a fait le tour de Verlaine et de Kafka



Voici un refrain qui sonne comme un bel aveu. Oui, avec cet album aimée, Julien Doré semble avoir fait le tour de la poésie, la vraie, et décidé de proposer la sienne. Une "poésie" ras du sol, guimauve et pastel jusqu'à l’écœurement, à l'image de la pochette du disque et de son médaillon où l'artiste se montre sous son plus vilain jour, celui de la caricature Julien Doré : torse nu (ouh, quel homme), cheveux très (trop) longs, petit chapeau artiste et regard pénétré.


Accueilli avec bienveillance, voire avec complaisance par les médias, aimée est, à l'heure où je me résous à écrire ces lignes, disque de platine. Soit plus de 100 000 ventes, réalisées en trois mois environ. Pas (encore) son record, puisque & a atteint les 600 000, et Løve plus de 300 000.
Comme quoi, il n'y a pas forcément de rapport entre la qualité et le succès.


Ces chiffres prouvent surtout la popularité démentielle du chanteur, qui cultive son image d'homme discret, décalé, vivant désormais à l'écart de Paris et du monde du showbiz. Tout comme la vitesse à laquelle s'arrachent les places pour ses concerts, même en ces temps très incertains de pandémie remettant sans cesse à des lendemains hypothétiques la possibilité de retourner voir nos artistes préférés sur scène.


Pour l'avoir vu trois fois en concert, je comprends parfaitement cet engouement. Doré est une bête de scène. Généreux, intense, charismatique, plein d'humour.
La première fois que j'y suis allé, c'était pour accompagner ma blonde, fan avant moi, pour la dernière date de la tournée Løve qui coïncidait, heureux hasard, avec l'anniversaire de la dite blonde. Je n'en suis toujours pas revenu, et le revoir à l'occasion de la tournée & a été un immense plaisir, même si j'avais déjà un peu moins aimé cet album.


Pas suffisant, néanmoins, pour que je joue des coudes cette année afin d'acheter des places pour le futur spectacle destiné à accompagner la sortie d'aimée. Parce qu'il n'y a rien dans cet album qui soit susceptible de me donner envie de voir ce que ça donnerait sur scène. Au contraire, c'est sans aucun doute celui que j'aime le moins, et de loin.


Si je voulais être sympa, je dirais qu'aimée dégage une grande cohérence sonore. Malheureusement, je n'ai pas envie d'être sympa.
En réalité, tous les titres se ressemblent : guitares langoureuses, petits synthés pointus, boîte à rythme électronique, tempo mollasson et voix de crooner mal réveillé. Oubliés, les guitares saturées et les murs du son ténébreux, la batterie vive et précise de Mathieu Pigné, et les envolées tragiques.


Il manque à tout cela la patte puissante de Darko, le guitariste complice, qui a cosigné quelques-unes des chansons les plus réussies de Julien Doré : "Paris-Seychelles", "On attendra l'hiver", "Porto-Vecchio", "Éden", même "Coco Câline", c'est lui.
Il est, hélas, totalement absent de cet album. Et même des rares prestations live enregistrées par le chanteur, notamment pour la télévision. On sait déjà que l'autre guitariste emblématique de la frontline de Julien Doré, Arman Méliès, sera absent de la prochaine tournée. Si Darko n'y est pas non plus, ni Mathieu Pigné, une sacrée page se tournerait, et pas forcément pour le meilleur. (Cela reste des suppositions, et le temps des concerts est loin d'être revenu, de toute façon.)


Oubliées aussi, les chansons d'amour, sombres ou pétillantes, auxquelles Julien Doré, par son écriture singulière, parfois abstraite mais toujours évocatrice, avait donné de nouvelles lettres de noblesse. Cette fois, l'artiste a voulu s'inscrire dans l'air du temps. Il parle d'écologie et de société, de vivre ensemble et de transmission.


Pourquoi pas. Je dirais même : au contraire, très bonne idée. Encore aurait-il fallu affûter davantage sa plume, trop souvent engluée de paresse, réduite à inviter Kylian Mbappé dans ses rimes ("Kiki") ou à se perdre dans des collaborations à la mode (Clara Luciani, dont la voix lancinante ne me donne guère envie d'écouter plus de son travail), ridicules (l'espèce de rap pathétique avec Caballero) ou carrément foutage de gueule ("Waf" avec... ses deux chiens, Simone et Jean-Marc).


Il essaie d'être piquant, de sensibiliser les jeunes générations (qu'il convie d'ailleurs dans ses chansons, puisque les deux filles d'un de ses musiciens jouent les chœurs dans plusieurs titres). Il n'est le plus souvent que consensuel, déroulant des textes vaguement ironiques dont nombre de rimes désolent par leur pauvreté ou leur approximation.
Il y a quelques exceptions, voire de rares fulgurances, notamment en début d'album : "La fièvre" (premier single, ce qui n'était pas un hasard puisque c'est sans doute la chanson la plus travaillée et aboutie de l'album), ainsi que "Barracuda", dont la musique quelconque n'est pas à la hauteur du texte, l'un des rares inspirés de l'ensemble.
C'est peut-être pour cela que Julien Doré, soucieux d'étoffer un disque un peu trop court, nous gratifie d'une deuxième version de cette chanson en guise de conclusion. Une version piano-voix (avec choeur d'enfants), qui n'apporte rien à la première, et semble surtout faire office de remplissage.


C'est totalement personnel, mais je trouve que le noir va mieux à Julien Doré que le rose. Avec aimée, il s'éloigne encore un peu plus du sommet de sa discographie, l'impressionnant Løve, au profit d'une pop sucrée qui recherche trop la complicité facile du public pour être honnête.
Avec lui, tout est possible. Pas question donc de l'enterrer à cause de cet album. Mais je crains tout de même la suite.

ElliottSyndrome
4
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Créée

le 20 déc. 2020

Critique lue 1.8K fois

5 j'aime

ElliottSyndrome

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