David Bowie : véritable génie ou fantastique suiveur de mode ? Quasiment chacun des albums de l'artiste anglais amène à se poser cette question, mais celui que je trouve le plus dérangeant dans le lot est certainement Aladdin Sane. Sans doute car c'est le disque le moins caractéristique de Bowie et le plus flemmard au niveau des compositions.
Délaissant la pop flamboyante de Ziggy Stardust, Bowie s'aventure dans un registre plus rock, avec une forte influence soul. C'est exactement le même chemin emprunté par Marc Bolan à la même époque, avec l'album Tanx. Et l'on pourrait rajouter Jobriath, exemple encore plus parlant d'artiste grimé, jouant un glam rock gorgé de soul. Bien sûr, il est impossible de dire qui a copié qui, tous ces évènements étant trop rapprochés dans le temps pour en tirer des conclusions définitives.
C'est aussi un peu ça la magie David Bowie. Mais il n'en demeure pas moins que l'artiste anglais ne tire pas trop son épingle du jeu par rapport à ses deux rivaux. Le chanteur semble presque suivre la marche, comme si elle était nécessaire et obligatoire, sans véritable passion. On ne ressent pas à travers la musique la signature si particulière de Bowie qui, s'il peut donner l'impression de suivre les modes, arrive à en tirer le meilleur pour créer des morceaux fantastiques et définitifs, avec un véritable sens mélodique.
Si le génie de Bowie est bien réel, c'est sans aucun doute à ce niveau qu'il s'exprime le mieux. Cela donne des albums comme Ziggy Stardust, Station To Station (encore que cet album est celui qui me paraît être le plus personnel de Bowie), Low, et même Young Americans. Mais avec Aladdin Sane, Bowie n'arrive pas à transcender grand-chose, il reste relativement plat et sans puissance.
La musique du gars n'est pas réputée pour transpirer l'émotion et la sincérité la plus absolue, mais pour le coup la plupart des morceaux est vraiment stéréotypée et ne dégage aucun enthousiasme ou envolée digne de ce nom. Les titres rock sont ceux qui plombent le disque, à mon avis. Ils sont simplistes, bruts, sans être violents non plus, saturés mais sans aucune efficacité, c'est du rock bête et méchant qui n'apporte rien du tout.
Tout cela est symbolisé par la reprise de Let's Spend The Night Together, qui ne démérite pas mais qui ne sert à rien, si ce n'est à servir de prélude au tout aussi inutile Pin Ups. Et puis The Jean Genie, ok, l'hommage est sympathique mais comment peut-on considérer ce gimmick comme un des meilleurs morceaux de Bowie ? C'est juste du rock qui ne regarde pas plus loin que le bout de son nez, voire qui se regarde carrément le nombril. Watch That Man, Panic In Detroit et Cracked Actor sont à ranger dans la même catégorie.
Si je veux écouter du rock un peu méchant et bas du front je vais voir du côté des Stooges ou des New York Dolls. David Bowie n'a pas la capacité de singer ce genre de groupes. Son intelligence et sa malice l'empêchent de pouvoir batailler sur le même terrain. Il ne possède pas ce côté primaire et spontané pour pouvoir être intéressant dans ce registre, surtout après avoir réalisé un album comme Ziggy Stardust. A côté Aladdin Sane sonne comme une régression.
Heureusement, le disque possède quelques morceaux de qualité, qui tirent l'ensemble tant bien que mal vers le haut. Drive In Saturday et Time sont les morceaux qui ont le mieux digéré l'influence soul américaine avec des mélodies flamboyantes et de l'enthousiasme conquérant. L'album décolle enfin lors de ces passages même si l'originalité n'est pas tétanisante ! J'aime également The Prettiest Star, moins épique, plus discrète mais non moins réussie avec son riff de guitare nonchalant. Voilà l'exemple d'un morceau électrique qui fait preuve d'un peu de recherche mélodique sans se vautrer dans l'énergie rock clichée.
L'originalité est plutôt à aller chercher du côté d'Aladdin Sane, morceau qui vire à la musique expérimentale avec un piano free et dissonant. La chanson n'est pas forcément géniale mais elle apporte un bon vent de fraîcheur dans l'album (même si ce n'est que la deuxième piste) et le piano de Mike Garson est intéressant. Il l'est encore plus sur le sublime Lady Grining Soul, dont l'introduction me fascine à chaque fois tant sa fluidité est impressionnante. Les notes de piano semblent littéralement couler au fil du morceau. Ce titre est sans doute un des plus injustement méconnus du répertoire de David Bowie.
La légèreté aérienne de cette chanson, placée à la fin, contraste encore plus avec le reste du disque. A côté de ce moment planant, les morceaux rock n'en paraissent que plus plombant. Et c'est toute l'atmosphère de l'album qui en pâtit. Malgré des éclats comme Lady Grining Soul et la bizarrerie Aladdin Sane (vive le piano de Mike Garson, vraiment), le disque me laisse l'image d'une musique empâtée, trop lourde et trop formelle, sans souffle ni créativité, à mille lieux du talent d'un David Bowie habitué à investir avec génie les registres qu'il aborde.