Coincé entre deux des meilleurs albums de Vangelis (Heaven and Hell (1975) et Spiral (1977)), Albedo 0.39 peut donner l'impression de faire figure de parent pauvre dans la discographie du compositeur grec. Son aspect foutraque joue d'abord en sa défaveur, avant de révéler, au fil des écoutes, l'étendue de la virtuosité de l'artiste.
Inspiré par les étoiles et notre place dans l'espace - l'albedo désigne le pouvoir réfléchissant d'une surface dans l'espace, le 0.39 étant précisément celui de la Terre -, ce nouvel album oscille entre des plages ambient ("Freefall", "Sword of Orion"), parfois un peu étranges ("Mare Tranquillitatis", "Albedo 0.39"), des morceaux plus structurés autour d'un thème principal, presque pensés pour devenir des singles ("Pulstar", "Alpha"), et des lâchages hirsutes qui partent dans tous les sens ("Main Sequence", "Nucleogenesis" part 1 & 2).
Passer sans transition d'un style à un autre peut donc déconcerter, surtout quand on se prend un mur de séquences et de percussions spasmodiques juste après quelques minutes planantes.
Par leur solidité et leur composition cadrée, "Pulstar" et "Alpha" émergent en enfants sages de cette drôle de famille, et marquent les esprits. Le premier, très vif, s'appuie sur sa basse ultra-rapide pour gifler l'oreille d'accords plaqués avec force, entre deux évolutions mélodiques balançant entre mineur et majeur. Le second joue la carte de la progression régulière, de l'épaississement au fil des répétitions du thème, jusqu'à la libération finale en apothéose.
Deux très beaux thèmes, souvent présents à raison sur les best of de Vangelis, car ils sont devenus des morceaux emblématiques de la capacité du compositeur à créer des mélodies frappantes.
Le reste mérite qu'on prenne le temps de se poser et de multiplier les écoutes, quitte à les fractionner pour en apprécier les nuances et les prises de risque. Vangelis pousse plus loin que dans Heaven and Hell les expérimentations rythmiques, notamment dans les trois morceaux longs et puissants de l'album. La batterie accentue sa présence, rarement sage et linéaire, et s'impose en élément perturbateur pour répondre violemment aux sonorités électroniques omniprésentes.
Des grands albums de la décennie 70, Albedo 0.39 est sans doute le plus difficile d'accès, le moins évident à aborder en tout cas. Mais il démontre l'envie de Vangelis de varier ses inspirations et ses compositions, de renouveler son style en permanence, et de tenter des choses neuves. Son oeuvre est alors en plein chantier, et le compositeur se fait visiblement un plaisir de tester tous les matériaux disponibles. Loin, très loin des stéréotypes néo-classiques qu'il va imposer dans les années 90... mais ceci est une autre histoire.