Lâcheté et mensonges
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Admettons-le de bonne grâce, nous sommes tombés sous le charme de Jon Edward (J. E. pour le grand public, pas si grand que ça, et pour « faire le malin », comme il nous le confiait en souriant lors de son dernier passage sur scène à Paris) Sunde tardivement : à l’écoute de son troisième album, 9 Songs About Love, et surtout de ce concert au Café de la Danse, fin 2021. Le fait qu’on nous vendait la bête comme un songwriter « délicat » dans le courant folk n’y était pas pour rien, la « délicatesse » et « la folk » (comme on dit aujourd’hui où presque tous les mots anglais sont devenus féminins en français…) n’étant pas trop notre tasse de thé ! Nous, on a plutôt aimé l’humour pince-sans-rire et la voix acide du type, le format clairement pop de ses chansons, et son aisance à déraper vers le rock’n’roll dès qu’il quittait la route des yeux.
Trois ans après 9 Songs About Love, Alice, Gloria and Jon pourrait être interprété comme un passage des illusions de l’amour (une préoccupation de jeunesse) aux frustrations de la vie (une réalité de la maturité) : « The world is stranger than they told us / We feel unequal to the task » (Le monde est plus étrange qu’ils ne nous l’ont dit / Nous ne nous sentons pas à la hauteur de la tâche – You Don’t Wanna Leave It Alone) pourrait être la phrase emblématique du sujet de disque, qui garde fermement le cap des chroniques discrètes d’une intimité à la fois compliquée et universelle. L’équivalent de ce cinéma indie US qui, de plus en plus décalé par rapport à son époque, prend le temps de parler des gens, et ne se contente pas de montrer des actes – généralement violents.
Musicalement, même si l’on entend dire ça et là que Sunde s’éloigne de sa formule folk traditionnelle, il ne fait rien exagérer, cette approche de « genres » différents n’est pas si importante que ça : on reste largement ici dans une forme pop très classique, avec des orchestrations légères, avant tout au service de textes simples et malins, et surtout de mélodies immédiatement accrocheuses. Une batterie qui sonne presque synthétique par ci par là et beaucoup de claviers aériens (comme sur le premier single, le délicieux Stop Caring), une reconnaissance que la guitare électrique « rock » est parfois plus appropriée pour ajouter une touche de lyrisme convaincant (le très réussi Turn The Radio On, qui aurait été un hit radiophonique dans les années 80), mais aussi une acceptation tacite que la country music est la forme musicale la plus appréciée par l’Amérique blanche (par exemple sur un Blind Curve qui ne déparerait pas au milieu d’un chanteur de Nashville d’il y a un demi-siècle, jusqu’à ce qu’un gimmick aux claviers emmène la chanson vers un ailleurs moins convenu).
You Don’t Wanna Leave It Alone est sans doute la plus étonnante chanson de l’album, démarrant dans une atmosphère presque sinistre pour adopter à mi-parcours, contre toute attente, les codes de la « pop » actuelle (celle que normalement on déteste), comme si Sunde prenait à cœur de prouver qu’il pourrait, s’il le voulait vraiment, séduire la jeunesse : une véritable réussite. Les vocaux de Glory, Gloria rappelleront aux plus anciens ici les incontournables Simon & Garfunkel, avec cette profonde tristesse qui s’élève pourtant avec aisance vers la lumière dès que déboule le refrain. Sur Alice, on sort la guitare électrique, et la basse ajoute un groove impeccable : nous voilà tous en train de remuer des fesses en agitant nos petits bras en l’air, en chantant « ooh, ooh, ooohooouhoouhh » ! Celle-là, on a hâte de l’entendre sur scène, on parie soit qu’elle fera l’ouverture du set, soit qu’elle trônera en bonne place dans le rappel, tant elle est irrésistible : on aimerait que ses trois minutes trente soient étendues à une bonne dizaine (de minutes), tant cette joie lumineuse nous fait du bien.
Bon, les aficionados du folk pourront se rassurer avec la minute douze secondes de God, ou avec les arpèges classiques de l’instrumental Morning, Jon sait toujours y faire pour trousser un truc bien traditionnel jouant sur des émotions intemporelles ; on préférera quant à nous la richesse de Home, pièce de résistance de l’album (dépassant les quatre minutes, une éternité pour J.E. Sunde !) en forme de crescendo au lyrisme plus prononcé qu’à l’habitude, même si la légèreté typique du bonhomme reste de mise, et empêche le morceau de sembler prétentieux ou trop ambitieux.
L’album se referme avec Nurse, parfaite conclusion ample, mélancolique, quasi cinématographique, à un disque qui, au long de trente-et-une minutes qui passent comme un rêve, touche à la perfection : peut-être le plus beau travail de J.E. Sunde à date, le plus riche. Le plus profondément satisfaisant, sans aucun doute. S’il n’était pas aussi rebattu et utilisé à tort et à travers, on utiliserait bien le terme de chef d’œuvre… et puis Jon Edward Sunde est bien trop modeste, et intelligent aussi, pour qu’on lui passe une brosse à reluire aussi grossière.
[Critique écrite en 2023]
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Créée
le 23 juin 2023
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