Parfois, il y a des choses qui vous arrivent sur la gueule, comme ça. Vous ne pouvez rien y faire. Moi je me souviens encore, ce fut une soirée absolument normale à me réécouter quelques chansons du folkeux oublié à la voix d'or. Oui, oui, Phil Ochs, c'est ça, c'est facile : c'est marqué à côté après tout. Journalisme, écriture, folk, scène de Greenwich, insuccès, désillusions, folie et suicide : une véritable vie de biopic larmoyant qu'il a vécu le monsieur. Et pourtant, je n'avais peu ou prou aucune idée de son histoire lorsque ma playlist a viré sur son premier album. Oui oui, All The News That's Fit to Sing, c'est bien ça.
Le choc fut tellement grand que je me demande si c'est bien de cet album dont il s'agissait. Parce que bon, Il doit bien se foutre de notre gueule vous dites-vous, lecteur, alors que vous commencez l'album par curiosité et venez de tomber sur trois accords de guitare acoustique lambda. Pourtant, croyez-moi, ce fut un choc, peut-être plus grand que la cacophonie puissante de 21st Century Schizoid Man. Dès la première minute la magie avait prise :
So young, so strong, so ready for the war !
Le mal était fait : j'avais envie de me repasser la première piste jusqu'à ce que mort s'ensuive. Il y avait là une fine plume et une écriture de texte travaillée, j'en avais l'intuition certaine, mais non, point encore de subtilité dans les coups de foudre : je m'en foutais donc. Il y avait surtout cette mélodie, cette voix et ce refrain que je chantais un peu maladroitement. Qu'est-ce qui avait réussi à transformer ce protest song un peu banal en une soudaine et douce tuerie ? Aucune idée. Peut-être serais-je le seul à avoir ce genre de réaction. Mais qu'importe : je venais donc de tomber amoureux de Phil.
Pourtant, vous offusquerez-vous à raison : il y a tout un album derrière, quand même ! Je le redoutais un peu sur le moment, ayant peur du dur retour de l'enthousiasme niais. Mais l'enthousiasme niais a finalement eu la victoire.
Now the streets are empty, now the streets are dark, so keep an eye on shadows and never pass the park.
Lou Marsch. Un refrain entier venait encore de s'imprimer dans la tête, comme ça. Ne m'attardant pas sur les paroles, je n'avais encore aucune idée du destin tragique de cette pauvre Lou, pourtant j'en étais déjà ému.
L'album enchaînera alors perle sur perle, avec toute la modestie et la timidité qu'implique ce pauvre petit premier album noyé sous les autres Dylan et Baez. Pourtant Phil Ochs a tiré son épingle du jeu, à la fois grâce à sa sensibilité, son ironie parfois cinglante et son sens mélodique qui, je dois l'avouer, est bien supérieur à celui de Bob. Pourtant l'histoire oubliera ces hymnes en puissance que sont «Knock on the Door» ou «Too Many Martyrs», cette paradoxale déclaration d'amour à l'Amérique qu'est «Power and Glory», la beauté d'un «Celia», la fragilité touchante de «Bound For Glory» et tant de merveille.
L'histoire de la musique populaire oubliera donc un des plus sincères et des plus beaux albums de singer-songwriter.