Amazônia (OST)
6.3
Amazônia (OST)

Bande-originale de Jean‐Michel Jarre (2021)

Ce n'est pas l'album de Jarre le plus facile à chroniquer.
D'ailleurs, ce n'est même pas un album. Pas au sens où on l'entend en tout cas.


Amazônia, en effet, est la bande originale d'une exposition, proposée par le photographe Sebastião Salgado à la Philarmonie de Paris et consacrée, comme son titre l'indique, à l'Amazonie. C'est donc une musique d'ambiance, un habillage sonore, qui ne prend sûrement tout son sens qu'in situ, autour des sublimes clichés en noir et blanc de l'artiste et dans l'espace clos de l'exposition.


Difficile, dès lors, de la juger comme n'importe quel disque. Néanmoins, puisque JMJ a fait l'effort de la publier et de la proposer à tous, hors les murs de la Philarmonie, essayons d'en dire quelques mots et de la considérer en tant que telle (coucou Perceval).


Commençons par une vue d'ensemble. Amazônia est composé de neuf titres numérotés, façon Jarre des débuts, de longueurs variables (de trois à dix minutes). Un choix de présentation dont on peut allègrement questionner le sens et l'utilité : les neuf morceaux sont fusionnés de manière à constituer une seule et même longue plage de presque une heure, et le passage de l'un à l'autre se fait sans rupture nette, d'autant plus que la musique, largement atmosphérique, est dépourvue de mélodie et de structure clairement identifiable - on y reviendra.
Plus étonnant encore, c'est au sein même des morceaux que se produisent régulièrement des ruptures fortes, introduisant ici une ligne rythmique, là une basse sourde, là encore une sorte de sample répétée à l'envi avant de s'évanouir comme il est apparu.


Inutile donc de s'intéresser à l'album titre par titre, et voyons plutôt comment Jarre a choisi de mener ce voyage musical en plein coeur de l'Amazonie.
Comme il l'explique en interview, il a commencé par puiser dans les banques de données du Musée d'Ethnographie de Genève, riches en archives reproduisant les sons de la plus grande forêt du monde. Gouttes de pluie tombant des feuilles, chants d'oiseaux, murmures de l'eau, cris d'animaux, mais aussi sources ethniques (voix humaines, chants, instruments, musiques locales) : omniprésentes, toutes ces sonorités forment la palette principale du compositeur, qui en usent tout du long de sa partition.


Il y ajoute ensuite une gamme de sons électroniques - nappes discrètes, percussions et lignes rythmiques fuyantes, brèves mélodies à peine ébauchées, séquences fragmentaires, oscillations rêveuses -, qui s'entremêlent au chant de l'Amazonie dans un mélange curieusement évocateur en dépit de son abstraction.
Pas de thème marquant donc, rien de typiquement jarrien - le compositeur étant avant tout réputé pour sa capacité à créer des mélodies aussi simples (en apparence) qu'inoubliables.
Jarre goûte ici aux joies libératoires de la musique expérimentale, pas aussi novatrice et audacieuse que ce qu'il a pu tenter à ses débuts au G.R.M. dans les années 60-70, mais assez différente tout de même de ce qu'on connaît de lui.


Pour autant, Amazônia se rapproche de certains travaux récents du musicien français, en particulier le développement de Eön, l'application pour iPhone (on attend toujours la version Android, soit dit en passant), qui reposait sur l'imbrication de fragments évolutifs pour élaborer une musique auto-suffisante, infinie et systématiquement inédite.
On retrouve dans Amazônia ce travail sur les fragments (également à l’œuvre dans les jingles composés par Jarre pour la chaîne France Info), permettant ici d'illustrer la richesse naturelle de l'Amazonie, la grande diversité de son éco-système.


N'ayant pas pu visiter l'exposition, faute d'être à Paris, j'ignore si le mariage entre les photos de Salgado et la musique de Jarre fonctionne. En tout cas, ce disque propose un voyage surprenant et stimulant, une immersion créative, et une invitation au cœur du grand rêve de la nature, qui ne manque pas d'intérêt.


P.S. : disponible en bonus téléchargeable après achat du disque, l'écoute au casque en binaural, nouveau gadget à la mode chez JMJ, sorte de 3D sonore plus facile d'accès que le coûteux et complexe 5.1, offre une profondeur de champ assez déconcertante durant les premières secondes d'écoute, mais accentue ensuite joliment l'immersion en permettant au son de créer un environnement englobant d'une manière assez naturelle et instinctive.

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le 14 août 2021

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ElliottSyndrome

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