[Mi-juin 2019]


Aujourd'hui, j'ai passé ma deuxième épreuve de bac, histoire-géo. Ce soir, ma sœur fraîchement diplômée d'un permis de conduire flambant neuf m'a proposé un cinéma, dans la mesure où l'épreuve de demain commence à 14 h. J'étais contente. Il fait chaud, vraiment. Comme chaque année à la même période, le corps s'abandonne en même temps que l'esprit et l'air commence à sentir l'été.


Une petite pluie orageuse nous a surprises sur la route du retour, depuis un cinéma de la périphérie de Pau jusqu'à notre bled. En arrivant au dernier croisement avant notre rue, j'ai ressenti un petit relent de ce qu'on ressent tous à chaque approche de l'été. Ce que Beaudelaire appelle le spleen et Angèle un phénomène dépassé de mode (tout, il faudrait tout oublier). Comme quand on a de la musique dans les oreilles, notre environnement se transforme en décor de clip, j'en aid éduit que le titre « Amour Plastique » de Videoclub qui résonnait dans mes écouteurs à ce moment-là y était pour quelque chose.
Videoclub, c'est un duo d'amoureux super jeunes et super chous qui font de la musique. Adele et Mathieu et leurs bouquets de roses dans le clip, leur texte mélancolique et plutôt ambivalent. Beaucoup de commentaires english, genre « are french people really this aesthetic ». God, no. I don't think so, cause... U know...
Je me suis reprise et je me suis focalisée sur ces belles paroles et la vivacité de l'instant. « Amour Plastique » c'est un clip de bisous et de tendresse devant la mer, avec des fringues des années 90 et une envie d'être des enfants dans une vie d'adulte irrépréssible. Mais comme le spécifie le commentaire english : « don't forget, it is not the real love ». « Amour Plastique » a bien un sens puisque Mathieu et Adele nous font passer du jour à la nuit en un quart de seconde avec des paroles qui font :


Dans mon esprit tout divague
Je me perds dans tes yeux
Je me noie dans la vague de ton regard amoureux
Je ne veux que ton âme divaguant sur ma peau
Une fleur, une femme dans ton cœur Roméo
Je ne suis que ton nom, le souffle lancinant
De nos corps dans le sombre animés lentement


Et la nuit je pleure des larmes qui coulent le long de mes joues
Je ne pense à toi que quand le jour sombre, que s'abattent sur moi
Mes tristes démons, dans l'abîme sans fond
Aime-moi jusqu'à ce que les roses fanent
Que nos âmes sombrent dans les limbes profondes


J'ai tourné la tête vers ma sœur qui attendait que le feu passe au vert. On avait toutes les deux la peau un peu luisante de la chaleur et les cheveux méditerranéens et indociles qui se rebellaient sous le même effet. En écoutant Mathieu et Adele je me suis dit que cette métaphore d'un amour non pas toxique mais plastifié dans une spirale de doutes, de quiproquos et de passion ravageuse était géniale. J'ai repensé aux paroles de mon prof de philo cette année, en évoquant ce que Kant appelait « l'impératif catégorique », de ne surtouuuut (il appuyait ce son là) pas se laisser guider par l'affectif. Je l'imaginais lâcher cette phrase dans un repas de famille avec un verre de vin rouge et ensuite secouer la nappe pour parler du beau temps.
Finalement, j'ai repensé à plein de chouettes moments, passés avec des artistes, des potes, des inconnus d'un soir de concert et de festival et je me suis demandé si c'était vraiment la vision de l'amour et de la vie que je voulais avoir. J'ai essayé de me remémorer l'ensemble de mes moments de doute et de trajets en train, de sessions révisions pluvieuses à la médiathèque proche de mon lycée et de mes récents rêves desquels je me réveillais, les muscles engourdis et les cernes bleus, en criant pour sortir le son de ma voix dans ce rêve-là, ou en me résolvant à ne surtout pas les écrire pour effacer ce que je voyais à cheval entre la réalité et les mécanismes de l'inconscient (merci monsieur Freud).
Dans un bel égoïsme qui découle du spleen de Beaudelaire, des rêves très (trop) forts à répétition et d'un tas d'autres conneries, l'idée m'a traversée que je n'avais pas fait « tout ça » pour rien. Je me suis dit que les conneries que sortent un philosophe aujourd'hui peuvent devenir la sagesse de mon futur, mais j'essaie d'accepter ce risque, maintenant que compresses et mercurochrome sont à ma disposition si je (et je vais) me rétame la gueule la prochaine fois. Se sentir prête reste la clé d'un début de réalisation de moments rêvés, et dans le déni. Ceux imaginés pendant des pages et des pages d'insomnie entre moi (nous?) et les gens un peu plus éloignés, juste un peu, qui dépassent les barrières d'un « ça va ? » poli entre deux bises et celles de l'insupportable « qu'est-ce que tu deviens ».
Mathieu et Adele m'ont fait voir le temps d'une chanson qu'on pouvait prendre soin de soi avant tout pour finalement tenter des intrusions dans des vies trop rangées. N'empêche qu'il fait encore chaud et que c'est dur de raconter un rêve.

BrunelleAgulian
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le 10 nov. 2019

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