Rosalia est, certainement, l'artiste qu'il manquait à nos playlists, et El Mal Querer, l'album qui manquait à nos conversations.
Rosalia se révèle mondialement avec ce chef d'oeuvre musical et graphique, intitulé El Mal Querer, chanté par une catalane, dans un style qui reprend les plus purs principes du flamenco andalou, avec pour base le roman «Flamenca». L'album est une thèse conceptuelle qui reprend les chapitres de ce roman, dont chaque chanson possède le sous titre d'un des chapitres.
À l'heure des révoltes anti feminicides et des mouvements Me Too, El Mal Querer est le récit d'une relation toxique entre un homme et une femme, peinture environnante de la société d'hier et d'aujourd'hui dans le traditionnalisme d'un art ancestral dans lequel on a vu des hommes et des femmes se regrouper. El Mal Querer est l'exploitation de la conception artistique originelle; Rosalia l'a bien compris. Si «Malamente» est une belle introduction à un album moderne et teinté de plusieurs styles, allant du R&B à des possibles influences trap, «Di mi nombre» et ses nuances musicales très orientales respecte totalement la promiscuité du monde arabe de la tradition andalouse. «Pienso en tu mira» est une incroyable fascination pour le désordre organisé, et bien sûr, l'incroyable «De aqui no sales» et ses bruits de motoi, qui m'a valu une note de 20 au bac, est une revisite de l'épisode des moulins à vent de Don Quichotte. Il est également essentiel que je mentionne le divin «Que no salga la luna», dans lequel on retrouve des bruits de chaînes lorsque la jeune femme accepte le mariage, ou ceux des voix confuses et fortes des vieilles cienas du village qui s'extasient devant la beauté de la mariée, dans un brouhaha qui fait penser aux discussions vives sur la place du marché, évoquant ce mariage toxique comme l'achat d'une marchandise.
Féminiser la brutalité ou masculiniser la douceur de l'art, rendre accessible l'ultra-sacré dans une ère instantanée et envahie par un flot médiatique constant, et nous poser devant les yeux une réalité fantasmée d'utopie et de poudre aux yeux, c'est l'incroyable aboutissement de l'oeuvre de Rosalia, qui, en toute objectivité, relève du plus pur génie artistique, musical et visuel. Si il ne fallait garder qu'un seul album musical pour une période d'abstinence artistique, ce devrait être celui là.