La polysémie de l'espagnol querer confère une opacité révélatrice au titre de ce très bel album de Rosaliá. EL MAL QUERER. Aimer le mal. Mal aimer. Vouloir le mal. Aimer, c'est vouloir le mal?
L'histoire qui nous est chantée par la prodigieuse Barcelonaise explore ces questions en les appliquant à une tragiquement réaliste destinée. EMQ, ouvertement inspiré de Flamenca (roman en langue occitane du XIIIème siècle), c'est l'histoire d'une femme qui est mariée contre son gré à un homme possessif et violent. Un jour, elle tombe amoureuse d'un autre. À l'issue d'une nuit d'amour (sujet du délicieux Di mi nombre) avec ce dernier, elle tombe enceinte. Le foetus meurt suite aux coups de son mari lorsqu'il apprend son aventure extra-conjugale. Alors, elle tue son mari, ne voyant pas d'autre possibilité pour s'affranchir de son joug, et enfin devenir "libre" (elle se fiche de ce que les autres pensent de son acte et s'en remet au jugement divin, cf. A Ningún Hombre). Dès le début, dans Malamente, Rosalià se mue en oiseau de mauvais augure et convoque l'esthétique de la culture gitane pour évoquer, avant énonciation des faits, la funeste tournure de l'histoire de cette femme (cf. le titre de mon texte, extrait de Malamente). Ça ne pouvait pas bien se terminer.
Il n'est pas nécéssaire de comprendre ou savoir tout cela pour apprécier l'album, tant il est riche musicalement. Rosaliá a une voix sublime et elle a l'intelligence de ne pas faire dans la démonstration. Elle met tout son talent au service de l'histoire, des vibrations, du souffle tragique et de la créativité qui font la grandeur de ce projet. Le flamenco, qu'elle a consciencieusement étudié auprès des plus grands à l'École supérieure de musique de Catalogne, y côtoie la pop, le RnB (reprise de la mélodie de Cry me a River dans le poignant Bagdad) ou encore le tango. Moi qui était d'abord tombé sous le charme du rythme endiablé d'un de ses reggaetons, sa versatilité ne cesse de me surprendre et donc de me réjouir (et ce n'est pas près de s'arrêter au vu de l'OVNI MOTOMAMI, son dernier album, aussi d'excellente facture).
Je pourrais écrire des lignes et des lignes sur chaque titre, mais cela siérait très peu au format senscritique où la longueur dissuade souvent. Je suis moi-même honteusement souvent parmi ces dissuadés. Il est certain que cet album peut-être l'objet d'une analyse profonde et fragmentée (travail déjà effectué de l'autre côté des Pyrénées) dont l'idée ne serait pas d'enlever le mystère que la chanteuse a su insuffler mais plutôt d'exalter la magie de l'ensemble et mettre en avant sa construction millimétrée. Je m'y attellerai un jour.
Pour l'instant je m'arrête à cette mince présentation, en espérant qu'elle puisse en inciter quelques uns à découvrir cette oeuvre d'une vraie importance et qui mérite sérieusement qu'on s'y attarde. L'album dure tout juste une demi-heure, vous n'avez aucune excuse.