Voici une modeste production française qui m'a agréablement surpris. On y suit les difficultés d'une veuve (Virginie) s'efforçant de maintenir le navire familial à flot en faisant le pari de joindre les deux bouts grâce à l'exploitation de sauterelles chez elle pour en vendre de la farine.
Ce business singulier, par les difficultés qu'elle rencontre (quantité de sauterelles insuffisante), devient vite une obsession pour une Virginie complètement surmenée. Dès le début, Just Philippot nous invite à être inquiets. La musique, les bruits de fond entomiques, les gros plans sur les sauterelles (qui nous rappellent l'alien de Ridley Scott), les yeux pleins de mélancolie de Virginie et ceux de sa fille Laura, pleins d'incompréhension. Sans parler de la présence immanente de cette serre sphérique abritant les insectes, personnage inquiétant qui va prendre de l'épaisseur.
C'est dans cette atmosphère nébuleuse et anxiogène que nous, spectateurs, débarquons. L'obsession de Virginie augmente et notre angoisse est du voyage. Alors qu'elle part avec de nobles intentions, elle fait naître une machine à tuer et s'engage activement dans une descente aux enfers qu'elle entretient par son obnubilation, celle-ci la rendant la presque aveugle.
Le film excelle dans plusieurs domaines. Le rythme du basculement graduel vers le pur cinéma d'horreur est continu et réussi. Au fil de cet évolution progressive, de grands moments de cinéma ressortent. Je pense à la fameuse scène où Laura découvre sa mère dans la serre. Cette scène est selon moi la plus importante car elle ouvre la voie au grand tour de force de l'oeuvre, celui d'envisager la mère comme figure monstrueuse. C'est en tout cas l'image qu'elle renvoie dans la serre. Suite à cette scène, de nombreux mécanismes usuels du cinéma d'horreur sont utilisés pour traiter le personnage de Virginie, notamment lorsqu'elle est hors champ, lorsque Laura s'enferme, dos contre la porte, et ainsi revisite Shining. Puis, quand Karim demande à Virginie : "Où est Laura?" et qu'elle répond "Je ne sais pas", que personne ne me dise qu'il n'a pas à cet instant pensé à l'impensable. Philippot joue avec nous. On avait peur pour Virginie et maintenant on a peur d'elle.
J'ai beaucoup aimé ce trait du film. Puis, les acteurs sont bons. Mention spéciale à Suliane Brahim (de la Comédie française) et Marie Narbonne, campant une Laura bouleversante de lucidité, notamment en ordonnant à son frère de partir pour son stage afin d'éviter le destin funeste réservé à ceux qui restent.
La film a quelques faiblesses, par exemple concernant la cohérence du scénario, dans l'étrange gradation opérées par les sauterelles dans le choix de leurs victimes. On aurait pu éviter aussi certaines scènes d'harcèlement scolaire, qui ouvrent un arc narratif peu exploité par la suite et donc dont on a du mal à voir l'utilité. Heureusement qu'elles sont courtes et peu nombreuses et donc n'entravent pas le rythme général.
Bref, une réussite et des images qui restent...


(https://www.auvergnerhonealpes-cinema.fr/upload/images/jeu-presse-2.jpg)

BorisBenateau
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 19 déc. 2021

Critique lue 250 fois

6 j'aime

2 commentaires

Boris LeHachoir

Écrit par

Critique lue 250 fois

6
2

D'autres avis sur La Nuée

La Nuée
Moizi
8

Plus que prometteur !

Franchement je suis impressionné. Je m'attendais à un truc un peu nul et pas forcément très abouti et en fait on a un film qui sait où il va et qui le fait bien. Disons que la qualité première du...

le 28 janv. 2021

63 j'aime

6

La Nuée
Velvetman
7

Cri de rage social

Tout comme Teddy, l’oeuvre de Just Philippot fait cohabiter le fantastique avec un cri de rage social. Une autre très belle réussite. Pendant que Teddy, sous le ton du burlesque, parlait de...

le 17 juin 2021

46 j'aime

1

La Nuée
Pascoul_Relléguic
4

Critique de La Nuée par Pascoul Relléguic

Nouvelle incursion du cinéma français dans le genre, qui plus est labellisé par le CNC,et malheureusement nouvelle déception en ce qui me concerne. La faute, encore une fois, à une écriture mal...

le 23 juin 2021

30 j'aime

1

Du même critique

Marius
BorisBenateau
10

"C'est un sentiment bien drôle, la pudeur..."

Premier opus de la Trilogie marseillaise de Pagnol, Marius restera toujours mon préféré. C'est dans cette première partie (d'abord envisagée par Pagnol dans son unicité puisque Fanny et César sont...

le 28 nov. 2021

16 j'aime

2

Dans ses yeux
BorisBenateau
9

"Ça fait 25 ans, oubliez..."

Film argentin sorti en 2009 et Oscar du meilleur film étranger en 2010, Dans ses yeux (El Secreto de sus ojos) est une oeuvre d'une grande ambition, et comme elle est réussie, d'une grande...

le 11 janv. 2022

11 j'aime

2

La Nuée
BorisBenateau
7

La huitième plaie

Voici une modeste production française qui m'a agréablement surpris. On y suit les difficultés d'une veuve (Virginie) s'efforçant de maintenir le navire familial à flot en faisant le pari de joindre...

le 19 déc. 2021

6 j'aime

2