Tout comme Teddy, l’oeuvre de Just Philippot fait cohabiter le fantastique avec un cri de rage social. Une autre très belle réussite.
Pendant que Teddy, sous le ton du burlesque, parlait de l’exclusion des inadaptés qui veulent tant bien que mal fuir une province parfois anxiogène, La Nuée est dans l’introspection d’une agriculture qui se noie sous les demandes de production. Naturaliste, proche de la fibre documentariste, le cinéaste filme les étapes de fabrication, les geste du quotidien, la gestion d’une famille et le processus agricole d’une mère, élevant seule ses deux enfants. Mais dans le business lié aux sauterelles, l’époque veut que les récoltes soient moins bonnes et moins prospères. Durant la première partie du film, rappelant le cinéma de Jeff Nichols (Take Shelter), l’aspect social est mis en avant, grâce à la qualité de l’interprétation (excellents Suliane Brahim et Sofian Khammes) et grâce au regard bienveillant mais aussi inquiet de Just Philippot vis-à-vis d’une bataille économique et familiale qui semble perdue d’avance.
Proche de l’implosion, entre des finances qui vacillent, une ferme difficile à payer, une mère seule au gouvernail de la famille, une fille qui vit les moqueries de ses jeunes camarades et un jeune garçon isolé, le tout rend inévitablement le décorum assez haletant. Cependant, après une mauvaise chute dans l’une des ses serres, Virginie se rendra compte que le sang est une denrée que ses sauterelles ingurgitent à grande vitesse. Même un peu trop. Elle donnera son corps « à la science », nourricière de ses propres créatures, dans des séquences hors-champ ou plein cadre, qui marquent la rétine par l’angoisse horrifique qu’elles génèrent. Cette exploitation lui dévorera autant le corps que l’esprit, et son aliénation n’en sera que progressive.
C’est à ce moment-là, que le film prend un virage fantastique, où Just Philippot arrive avec finesse à dessiner la monstruosité qui se construit sous ces serres qui se multiplient. La production augmentent, les sauterelles « carnivores » en veulent toujours plus et cette ferme à l’abandon devient un monopole à elle seule. Mais à quel prix ? Sous cet apparat, se cache un monstre sanguinaire qui ne cesse de gronder son appétit. Le monstre d’un capitalisme qui dévore tout ce qui bouge, tout ce qui s’approche, où la Nature reprendra inévitablement ses droits. Derrière cette symbolique et les enjeux qui en découlent, c’est surtout visuellement que le film tire son épingle du jeu.
Sans effets spéciaux racoleurs, mais avec un cadre parfait et une mise en scène audacieuse, jouant sur les perspectives, l’organique, la meurtrissure de la chair et la pertinence du réel, le cinéaste arrive à rendre compte de la puissance collective et de la prolifération de cet amas de bestioles enragées, de faire des sauterelles, un ennemi sanguinaire terrifiant, une bête horrifique qui se jette à corps perdu sur les proies qui sont à sa disposition (chèvre, chien, fermier…). Parfois trop attentionné quant à son discours sociétal, trop attaché à décrire le parcours de cette famille, le cinéaste en oublie parfois sa fibre fantastique et aurait pu davantage dessiner cette perverse et destructrice liaison entre Virginie et ses sauterelles, visage du lien entre ce Dr Frankenstein agricole et sa créature sans visage.
Mais le plaisir reste intact, notamment dans ce climax où la nuée prendra vie et dévoilera sa réelle existence mortifère. Un visage implacable qui se noiera dans la folie, pour un film évocateur, angoissant et plus que pertinent.
Article original sur LeMagduciné