Je ne chronique quasiment jamais du post-rock pour une raison simple. C’est un genre de musique qui échappe partiellement au spectre d’analyse critique traditionnel qu’on utilise dans ces colonnes. Style introspectif, patient et intime, il ne peut pas se juger de la même manière que les autres propositions, plus instantanées, auxquelles nous sommes habitués. C’est particulièrement le cas du post-rock appelé souvent de façon moqueuse crescendo-core, qui découle de l’école Godspeed You! Black Emperor et qui a été particulièrement en vogue sur des chaînes YouTube à la WherePostRockDwells dans la première moitié des années 2010. Pensez We Lost the Sea, Oh Hiroshima ou If These Trees Could Talk. J’ai personnellement perdu la majorité de mon intérêt pour cette scène qui peinait trop à se renouveler et finissait par trop montrer ses ficelles.
Ce n’était pourtant pas le cas de A Swarm of the Sun qui m’avait cueilli en 2019 avec The Woods en refusant les tropismes pourtant majoritaires du crescendo-core pour privilégier un post-rock bien plus minimaliste, avec des guitares beaucoup plus discrètes et des claviers aux inspirations rituelles qui traversent les morceaux. Se dégage du tout une impression de solennité particulière, comme celle de pénétrer dans un temple impie qui aurait refusé les musiques sacrées pour en proposer sa propre étrange relecture. Le premier morceau, « This Will End in Fire », ainsi que le crépusculaire final « Anthem » transmettent particulièrement cette sensation de désolation majestueuse, dans une démarche confinant parfois au drone.
En disant ça, je sais que ça pourra dérouter, voire dissuader de l’écoute, mais c’est justement là tout l’intérêt du disque : rendre immersives et fascinantes des longues plages décharnées que viennent troubler avec parcimonie une voix ou un nouvel instrument. Sur « Heathen », un synthé vient s’ajouter autour de la troisième minute, rond, froid et espacé, rappelant les mélodies hantées de Twin Peaks par Angelo Badalamenti. Ce sont huit minutes d’errances qui rendent l’arrivée de la guitare saturée aussi savoureuse, puissante et majestueuse, et qui prouve l’habileté de composition des deux Suédois derrière le projet.
Sur « The Pyre », morceau le plus long (18 minutes), mais paradoxalement le plus accessible dans sa composition, Jakob Berglund chante plus que sur les autres titres. Il adopte une voix douce, fragile, dont la sérénité tranche avec l’épaisseur du timbre de la guitare qui l’accompagne. Difficile de ne pas imaginer comment cette brillante pièce pourrait ne pas plaire aux fans de Cult of Luna, Lost in Kiev ou Year of No Light. Je retrouve d’ailleurs beaucoup de l’énergie de ces derniers dans A Swarm of the Sun et je ressens à l’écoute de An Empire des frissons similaires à ceux que j’ai eus la première fois que Tocsin a sonné dans mes enceintes.
Alors bien sûr, du fait du style exigeant joué et de la longueur de l’album (plus d’1h10), l’écoute de An Empire n’est pas toujours aisée. J’ai décroché à ma première écoute sur le morceau éponyme et n’ai été recueilli que par l’arrivée de la distorsion sur le morceau suivant, le très bon single « The Burning Wall ». Qu’à cela ne tienne, An Empire est un album sur lequel on revient, comme un pèlerinage mystique. C’est un disque d’une maturité et d’une élégance formidables qui fait honneur à l’héritage du post-rock et des musiques atmosphériques dans leur ensemble. Car, honnêtement, parfois, avec l’habitude des musiques extrêmes, j’en oublie que la musique peut aussi être belle. Et ce sont ces moments, comme avec les notes pudiques de « This Will End in Fire », qui me rappellent que c’est aussi un qualificatif qui appartient à nos musiques.