Quelques mois après la sortie de Master of Puppets, qui sacrera le groupe Metallica et le placera sur le trône de fer du metal, le groupe part en tournée pour promouvoir l’album et s’en vont jusqu’en Europe. Là bas, nos four horsemen alors réputés invincibles, de leur point de vue autant que celui du monde, vont être témoins d’un choc.
Cliff Burton, leur bassiste de légende, un thrasheux qui revêtait des pantalons pattes d’eph, qui écoutait de la musique classique et lisait du Lovecraft, oui, cet esprit brillant qui était l’âme du groupe, l’un des quatre cavaliers, meurt au cours d’un accident de bus sur une route suédoise. Il avait 24 ans.
Choc plus que traumatique pour le groupe, qui se retrouvera comme orphelin, Kirk le silencieux dira même avoir perdu comme un grand-frère.
Un choc qui donne aussi aux three last horsemen une vision d’horreur, celle de la réalité, où même la jeunesse fougueuse et insouciante peut-être fauchée par le destin, le hasard, appelez ça comme vous voulez. Un choc qui secouera même la planète thrash en entière, car un peu comme le patelin de Twin Peaks, tout le monde se connaissait dans la scène thrash, venait d’à peu près les mêmes endroits et côtoyaient les mêmes bars, les mêmes scènes underground. Même Dave Mustaine le teigneux, installé confortablement avec Megadeth, qui garde encore rancune contre Metallica, rendra un bref hommage à Cliff le hippie dans une de ses chansons.


Il a été pendant un temps trop court question de la dissolution du groupe. Néanmoins, les survivants, qui ont perdu leur bassiste, leur ami, leur frère, se décident à continuer l’aventure, pour Cliff. Ils engagent donc un nouveau bassiste et continuent les concerts et les tournées. Ce bassiste, venant tout droit de l’underground thrash qui vénérait Metallica en ce temps là, du groupe Flotsam and Jetsam, c’est Jason Newsted, qui deviendra par la suite Jason le bizuté, car le groupe, en cette période de deuil, a besoin de projeter cet accident sur un coupable n'ayant rien demandé à personne et passe sa hargne sur le pauvre Jason qui va rester le nouveau du groupe pendant environ 15 ans.


Le nouveau line-up composé maintenant de James le picoleur, Lars le grimaçant, Kirk le silencieux et Jason le bizuté entament alors l’enregistrement de leur quatrième album studio.
En 1989 sort donc ...And Justice for All, et c’est un succès. Nommé aux Grammy Awards de cette année qu’il ne remportera pas, l’album marque en même temps un retour aux sources, une rupture dans le style d’alors et une conclusion à presque une décennie de thrash virulent et agressif.


Le disque s’ouvre avec Blackened, dénonçant la pollution, avec son intro qui monte en crescendo et qui prend aux tripes, on sait, rien qu’au son, que le groupe est en deuil et que cet album sera un hommage complet mais aussi un déversoir de la rage du groupe, frappé par le destin et plus haineux que jamais. Puis la batterie démarre, un son un peu trop clair, sec et sans la lourdeur ni la résonance typique des albums précédents, les guitares rugissent, saccadées, efficaces, le chant de James le picoleur a encore gagné en maturité depuis Master of Puppets, il est halluciné, nerveux. Son chant est plus rauque, il extériorise la peine et la rage qu’il a, tout comme Kirk le silencieux et Lars le grimaçant sur leurs instruments respectifs.
Vient ensuite la chanson-titre au refrain mortel qui fait mouche, qui montre la facette d’un Metallica brisé par le chagrin, mais traversé par un ouragan de fureur, le groupe s’en prend à la justice, une justice américaine corrompue, hypocrite et même défunte. And Justice for All est une épopée musicale glaciale bien loin des must passés du groupe, un peu répétitive, mais qui possède son charme de par la rage qui l’anime.
Et là, une pause est de mise, on a déjà constaté un son de batterie atypique, mais il y a autre chose qui rend le son si singulier, une basse atrocement bizutée, comme le bassiste d’ailleurs. C’est ce qui rend le son si...viscéral à l’écoute, et le souvenir du fantôme de Cliff est d’autant plus fort car cette production bizarroïde couplée à l’isolement de Jason le bizuté donne un son froid et sec, une agressivité significative à l’album, mais sans lourdeur, comme un retour à un Kill ‘Em All brut mais plus technique.
Le groupe a la haine, et ça s’entend, Eye of the Beholder est excellent, quoique peu commun dans son tempo, et s’en prend à l’illusion de la liberté de penser au sein des États-Unis.
One est la pièce-maîtresse de l’album, plus que la chanson-titre. Basée sur le roman et le film Johnny s’en va-t-en guerre de Dalton Trumbo, c’est l’une des meilleures chansons du groupe, sorte de semi-ballade teinté de désespoir qui se conclut en un final époustouflant où la rage reprend le dessus et où les guitares partent en vrille, avec un solo mythique de Kirk le silencieux. Et que dire de ce couplet scandé par un James Hetfield picoleur possédé et fanatique sous une rythmique incroyablement puissante et presque épileptique :



Darkness imprisoning me
All that I see
Absolute horror
I cannot live
I cannot die
Trapped in myself
Body my holding cell



Un titre lourd qui se paie le luxe d’un clip vidéo, le premier du groupe, sobre, grisâtre, rempli de tristesse, bien loin des clips promotionnels colorés et hédonistes des figures du glam.
The Shortest Straw; Harvester of Sorrow et The Frayed Ends of Sanity représentent à elles trois un retour à un thrash plus primitif, et n’ajoutent rien de nouveau, ni rien de diffamant sur ce disque. Trois titres plutôt potables mais ici pour donner un contenu homogène à l’album, rien de plus, rien de moins.
On arrive à la pièce instrumentale sensée être un hommage à Cliff (bien que l’album entier peut-être vu comme un hommage et un témoignage du deuil dédié à Cliff), To Live is to Die remplit le cahier des charges et, s’il est rébarbatif au début, se mue vite en une sorte de marche funèbre métallique et mélancolique, sublime dans sa tristesse, tandis que Dyers Eve, auréolée de destruction et de colère, clôture l’album avec ce son thrash primitif. Peut-être la pièce la plus violente du groupe, mais aussi la dernière aussi tranchante et explosive.


Régression dans l’évolution musicale du groupe, ...And Justice for All n’en reste pas moins une réussite même si c’est le premier album de Metallica à comporter autant de titres dispensables ou interchangeables (les premiers en ayant qu'un seul...voir aucun). Un album placé sous le signe du deuil et de la mélancolie, mais qui reste teinté d’une rage et d’une agressivité facilement palpable. Le gros défaut de cet album reste bien évidemment sa production bancale et la mise en retrait de la basse, comme si c’était trop tôt pour le groupe de mettre en avant un autre son de basse que celui de Cliff le hippie. C’est sur cet opus qu’on se rend compte que ses talents de composition et sa volonté d’innover en faisait l’âme du vaisseau Metalloche, car ici, Metallica se remets en question en revenant aux bases d’un thrash sale et méchant, comme si c’était pour mieux lui dire adieu avant de s’envoler pour la prochaine décennie vers le grand public et une gloire éternelle, ce qui sera d’ailleurs le cas.
Mais ceci est une autre histoire...


R.I.P. Clifford Lee Burton (1962 - 1986)

Créée

le 20 avr. 2020

Critique lue 79 fois

Tom Bombadil

Écrit par

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