En s'attaquant à Brain Salad Surgery, on ne sait pas à quoi on fait face, même en étant amateur de prog, car ce quatrième opus des zigotos de Emerson, Lake & Palmer n'est pas un album non, c'est un monstre, monstre de leur discographie aussi bien que monstre du rock progressif en général.


Difficile donc d'établir un constat sur ce disque, et il faudra probablement plusieurs écoutes avant d'en saisir toutes les nuances et subtilités. Mais à l'inverse de Yes que j'ai apprivoisé avec le temps, je n'ai pas eu ce plaisir avec les albums d'E.L.P., entité bien plus bizarre et dérangeante que la plupart de leurs congénères britanniques de la même époque, qui a un peu moins bien vieilli du fait du côté plus kitsch de leurs compositions. Et ce Brain Salad Surgery, qui est souvent considéré comme leur meilleur album, eh bien c'est malheureusement celui que j'aime le moins.


Débutant avec un court mais solennel Jerusalem (adaptation de l'hymne classique signé Hubert Parry) empli d'un souffle épique prometteur, le disque promet des merveilles, et lorsqu'on entend le morceau suivant, on a l'impression que les promesses sont tenues.
Toccata, autre adaptation plutôt libre d'une pièce classique, est dérangé, virtuose, et propose pendant près de sept minutes une invitation à l'univers symbolisé ici par la pochette culte du disque, car comment parler de Brain Salad Surgery sans aborder sa cover monstrueuse et génialissime signée H.R. Giger, à la fois effrayante et attirante, comme quasiment tous les travaux du maître, enfin, pour ceux qui y sont réceptifs.
Mais après le sympathique et acoustique essai folk Still… You Turn Me On et un passage obligé et prévisible par la comédie qu'est Benny the Bouncer (pas trop désagréable, cela dit), c'est là qu'on arrive au sujet qui fâche : Karn Evil 9.


Karn Evil 9, c'est un peu la quintessence d'E.L.P, du moins c'est de cette manière dont il est considéré. Avec près de 30 minutes au compteur (ce qui fait de ce morceau le plus long qu'a jamais composé le groupe), le tout découpé en trois mouvements que sont les impressions, c'est le modèle typique du lourd passage obligé pour tout artiste prog qui se respecte, une apothéose musicale finale. Une démonstration de force de tout ce qui fait l'attrait du style en un condensé qui parfois, tient toute une place sur la face B d'un disque, comme on a pu le voir chez Pink Floyd pour Meddle ou encore Renaissance pour Scheherazade and Other Stories.
Conditions remplies pour Brain Salad Surgery avec Karn Evil 9 en apparence, car témoignant de la virtuosité des membres du groupe, en particulier le claviériste Keith Emerson, au sommet de son art.


Mais le prog, c'est avant tout une affaire d'équilibre, équilibre précaire et fragile entre expérimentations et harmonie. Et le souci de Karn Evil 9 se trouve ici, il est immense ça oui, mais trop immense ! Il est foutraque, ne sait pas où il va, a l'air trop spontané, improvisé, et de ce fait loin d'être harmonieux et agréable à l'écoute. La virtuosité des musiciens n'est plus à remettre en cause après ce tour de force ça oui, mais qu'en est il de la qualité, la fluidité et la cohérence de la composition ? Karn Evil 9 semble en être dépourvu.
Sans oublier que le morceau est bizarrement optimiste, trop optimiste par rapport à la cover qui invitait dans le monde terrifiant mais fascinant de Giger, et trop optimiste par rapport aux trois premiers titres de l'album en accord avec cette pochette dantesque.


Brain Salad Surgery, loin d'être le meilleur album d'Emerson, Lake & Palmer n'est pas un ratage complet non plus, et peut être vu comme l'antithèse de Tarkus, le second album du groupe. Là où Tarkus bénéficiait d'une pièce maîtresse captivante, cohérente dans son ensemble et vachement classe, mais souffrait de titres dispensables suivant le monstre éponyme, Brain Salad Surgery nous fait tout l'inverse, à savoir des morceaux courts dignes d'intérêt et un mastodonte musical final qui peut parfois peiner à transcender l'auditeur.


Mais c'est évidemment ce défaut que j'ai trouvé à Brain Salad Surgery que d'autres ont perçu comme une qualité indéniable de l'album et des travaux du groupe en général, cette volonté d'expérimenter poussée à son paroxysme et cette manie de prendre son auditoire à contre-courant, changeant de rythme et de genre toutes les 3 minutes, lui retournant complètement le cerveau. C'est cet aspect qui fait de cet album un incontournable de la scène prog, et qu'on accroche ou non, ce disque qui porte définitivement bien son nom conquerra ou énervera l'écouteur, mais ne le laissera pas indifférent.

Tom-Bombadil
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le 11 déc. 2020

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