Faith No More est un groupe éminemment important de la scène alternative US et on ne peut plus avant-gardiste. Né à l’extrême fin des années 70, dans le circuit de façon effective à partir du milieu des années 80 avec deux albums qui plantent l'essai et une line-up particulièrement mouvante, le groupe se cherchant encore. L'explosion survient en 1989 avec "The Real Thing" marqué par l'arrivée d'un chanteur hors-norme, Mike Patton et des compositions qui influenceront considérablement la scène Metal-Fusion naissante. MTV s'empare du phénomène et le single "Epic" devient un tube, l'album quand à lui s'envole dans les charts au point d'être certifié Platine sur le marché national. Une bénédiction pour Faith No More mais aussi un nouveau statut qui peut déstabiliser, surtout quand on se réclame de la scène Indé. L'attente n'est d'un coup plus la même, Faith No More rempli les stades et son public de plus en plus nombreux attend la suite.
Trois ans après ce superbe album, Faith No More était de retour avec ce "Angel Dust". On remarque tout de suite sa belle pochette qui a quelque chose d’apaisant… mais si on retourne le CD, on découvre un autre univers, bien peu ragoûtant : des animaux morts suspendus à des crochets de boucherie. Cette opposition correspond finalement bien à l’album et au groupe. La beauté côtoie le dérangeant, le calme cache la tempête.
Pour "Angle Dust", Mike Patton a pris part au processus de composition. Il avait intégré le groupe un peu tard pour "The Real Thing" et n'avait par conséquent pu s’investir qu'au niveau des paroles. Cette fois-ci, il se lâche. Il est l’auteur de quasiment tous les textes et co-compositeur d’une bonne partie des musiques. Et quand on sait de quoi il est capable (son groupe d'origine, Mister Bungle, n’est pas ce qui est le plus facile d’accès), on peut s’attendre à du changement.
Et effectivement, Angel Dust est un album dans lequel il est plus difficile de rentrer que le très immédiat Real Thing. L’univers de Faith No More est ici plus sombre, plus torturé.
Premier point, et pas des moindres : Mike Patton est méconnaissable. Tel le caméléon, il change de voix suivant les albums. On ne retrouve pas ici le Mike au chant complètement déjanté de The Real Thing. Ici, Mike a l’air d’avoir mûri, son chant est plus posé… en apparence car il est encore pris d’hystérie sur quelques titres. En revanche, il varie toujours autant son chant, utilisant un phrasé rap (Everything’s Ruined, Kindergarten), devenant très agressif (Malpractice, Jizzlobber) ou au contraire presque crooner (RV).
C’est "Land Of Sunshine" qui ouvre les festivités. Le son est énorme et clair, la rythmique est en béton. Il n’y a pas de refrain à proprement parler. Le synthé tient toujours une place importante, la basse est toujours aussi groovy. Pour le moment, on est dans la continuité de "The Real Thing", seule la voix de Patton est moins allumée. Quelques cris de bestioles ouvrent "Caffeine", la rythmique est aussi écrasante que sur le premier morceau. Patton commence à sortir le grand jeu. Et déjà, on note que l’ambiance de l’album est plus sombre que sur les albums précédents.
Place au premier single, "Midlife Crisis". Un morceau construit de manière plus classique avec mélodie identifiable au synthé et vrai refrain, encore que la partie centrale est un peu barrée.
Pour ce qui est du barré, on va être servi par la suite. Déjà, "RV" se pose là avec son air tranquille au piano qui fait un peu country-jazz. Mike Patton alterne déclamations sur les couplets et chant de crooner sur le refrain. "Smaller and Smaller" repart sur une grosse rythmique mais avec un synthé qui trace une ligne mélodique presque orientale. Patton crie et devient agressif sur le refrain. On trouve quelques chants indiens sur la partie centrale, histoire de noyer encore plus l’auditeur.
On est balancé ainsi avec chaque nouveau titre dans un ambiance différente. Ainsi, "Malpractice", titre très agressif (le côté boucherie) mais avec un refrain en contre-pied est suivi d’un "Kindergarten" bien mélodique (le côté aigrette blanche).
Et on continue comme cela jusqu’à la fin, chaque titre proposant son lot de surprises. Sans les citer tous, on notera les chœurs féminins de "Be Agressive" sur une rythmique de dingue, tout le morceau "Crack Hitler" tant il est imprévisible du début à la fin ou "Jizzlobber", titre complètement frappadingue et seul morceau signé Jim Martin. Et ça se sent, la guitare y règne en maître, le synthé est plus en retrait sauf sur la partie finale où il nous fait penser à un orgue d’église.
Pour se remettre de nos émotions, Faith No More a pensé à nous reposer les oreilles avec un avant-dernier morceau relax, la reprise instrumentale du thème musical de "Midnight Cowboy".
N'oublions pas pour finir une très belle reprise du classique des Commodores, "Easy" interprété avec cette ironie vocale propre à Patton,fan des crooners d'antan.
Cet album nécessite d'être apprivoisé, avec sa variété de styles. Ce n'est pas vraiment du "easy listening, au sens propre du terme . Mais une fois qu'on en a découvert toutes les subtilités, il gagne en valeur à chaque écoute.
Angel Dust est probablement le sommet musical du groupe. Il est aussi le dernier opus avec Jim Martin à la guitare, celui-ci ne s’étant pas beaucoup investi dans le processus de composition de cet album et les tensions entre les autres membres et lui ont fini de le diriger vers la sortie.
Encore plus que ses prédécesseurs, Angel Dust propose une immense ratatouille musicale où plusieurs styles que l’on n’aurait pas forcément imaginé pouvoir se côtoyer fusionnent gaiement. Mais tout le talent de ce groupe est là : faire de ce micmac musical une œuvre innovatrice totalement réussie.