Anghellic
6.3
Anghellic

Album de Tech N9ne (2001)

Jusque "récemment" et à quelques exceptions près, être rappeur dans le Midwest n'a jamais été une sinécure pour qui veut un succès grand public. Perdu entre les deux pôles historiques du rap et dans une région peu réputée pour son tourisme, Kansas City n'a jamais particulièrement brillé d'un point de vue rapologique. Depuis la fin des années 90, Aaron D. Yates fait ses armes dans l'underground de KC sous le nom de Tech N9ne et a développé un flow à l'image de son pseudonyme (le Tec 9 est un pistolet mitrailleur). On avait eu l'occasion de l'entendre à droite à gauche (avec Yukmouth, Solé ou sur "The Anthem" initié par King Tech & Sway avec des pointures telles que Kool G Rap, Eminem, RZA et bien d'autres) et on attendait qu'il concrétise ses bonnes prestations.

Comme les enfants qui veulent se faire remarquer, Tech a choisi de ne pas faire comme tout le monde. Dread locks rouges dressées sur le crâne, poses grimaçantes, maquillage sanguinolent et imagerie biblique, Tecca Nina n'y va pas avec le dos de la cuillère pour la sortie de son premier album (enregistré au QDIII Lab) produit avec le soutien d'une major (il avait sorti "The Calm Before The Storm" de façon confidentielle en 1999).

On pourrait craindre à un album gothique où se bousculeraient clichés sur les enfers et le paradis, surtout après avoir déplié l'imposant livret de l'album qui présente Tech en ange crucifié ou hésitant entre les femmes et la drogue avant d'être précipité en Enfer. Heureusement, le rappeur du Kansas se montre plus malin malgré une tendance occasionnelle à la facilité.

"I got the spirit of an angel mixed with demoniac ways of livin" ("God Complex")

Tout le propos (ou presque) de "Anghellic" se résume dans ces quelques mots. Tech N9ne a beau construire son album comme une élévation depuis les enfers (les neuf premiers titres de l'album) vers le paradis (après un passage au "Purgatory" en plage 10), il abordera les mêmes thèmes tout au long de l'heure et quart que dure le disque. Comme il l'annonce en ouverture dans "Tormented", il a trois vices : les femmes (ces Biancas qui n'offrent leurs charmes qu'aux artistes), l'alcool ("151 Malibu rum and pineapple juice") et la drogue. Au plus profond du royaume de Belzebuth comme dans les cieux, les femmes et les paradis artificiels l'accompagneront pour son bonheur ou son malheur (plus souvent le premier que le second). Ajoutez à cela quelques délires paranoïaques et schizophrènes, une certaine aigreur face à sa situation de MC isolé et une bonne dose d'humour et vous aurez un aperçu à peu près convenable du contenu de "Anghellic".

S'il ne devait y avoir qu'une seule certitude à propos de Tech N9ne, c'est que l'homme sait rapper. Tout aussi capable dans un registre classique que, chose surprenante, dans l'émotion ("Suicide Letters" en est une bonne démonstration), s'il devait y avoir une faille à cet album, ce n'est définitivement pas de coté là. Et encore moins quand il fait la démonstration de sa célérité, domaine où il se révèle être tout simplement monstrueux comme sur l'interlude "Stamina", le banger "Einstein", "Psycho Bitch" à la rythmique drum 'n bass ou quelques passages éparses (notamment sur "The Ring", "It's Alive" ou "God Complex").

On peut néanmoins lui reprocher d'en faire parfois un peu trop dans le démonstratif quand il cherche à afficher sa différence. Changements de voix, gimmicks, ruptures abruptes de flow, Tech laisse parfois une impression de contrôle tout relatif. Un tâtonnement qu'il compense grâce à une sympathie communicative et un humour bien trempé (notamment sur "P.R. 2K1", un clin d'œil grivois à Afrika Bambaataa ou l'intro de "Here I Come" sur "La lettre à Elise").

Un manque de rigueur qui se traduit aussi malheureusement par un choix de prods des plus discutables. Rythmiquement, l'album est d'une pauvreté déconcertante à quelques exceptions qui constituent généralement les meilleures pistes de l'album ("Einstein", "Here I Come" ou "God Complex"). Les caisses claires manquent de pêche, les basses sont ridiculement plates ou alors le tout est désespérément balourd ("Sinister Tech"). On attend que certaines prods décollent en vain ("Real Killer") alors que d'autres s'avèrent vite fatigantes ("Tormented"). On se rend rapidement compte que c'est la voix et le flow de Tech N9ne qui portent seuls cet album. Quand il finit par rejoindre Roger Troutman, sa talk box et ses crissements feutrés à la "Computer Love" au paradis sur la dernière plage de l'album ("Twisted"), on a enfin une prod réussie et pleine de charme... mais qui ne convient malheureusement pas au style trop excité de Tech. Tant pis, il faudra se contenter des tentatives synthétiques de Don Juan et Ricy Roc Kraven.

Le public a boudé "Anghellic" a sa sortie, laissant Tech N9ne amère et sans major en soutien pour son album suivant. On ne pourra pas totalement lui en vouloir (il se rattrapera d'ailleurs avec sa réédition en 2003 par Strange Music) car si Tecca Nina est indubitablement un très bon MC évoluant dans un univers riche, personnel et attachant, il lui manquait encore un support musical à sa mesure et une plus grande expérience du business pour sortir un gros album. Il transformera l'essai un an plus tard avec "Absolute Power".
NicoBax
6
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le 20 déc. 2011

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