Je ne saurai sûrement jamais parler de cet album - comment traduire cette caresse qui exaspère, suscite la plénitude et le manque, émeut et agace ...?
Le titre de l'album met l'accent sur la vision, et de fait, chaque musique-toile de fond constitue une miniature venant compléter un grand ensemble pictural. Tableau qui se laisse contempler, n'ayant de but que lui-même. La musique n'est pas un art représentatif? Fermez les yeux et imaginez. Durant le temps de l'écoute, votre âme est une vaste fresque.
La musique ne fait toutefois pas appel qu'aux sensations picturales. Pas de contemplation éthérée ici, parce qu'à la vue se confond le toucher. Quelqu'un joue de plusieurs instruments, et nous sommes ces instruments. Nous sommes manipulés, joués, sources d'émotion par-devers nous, ce qui nous procure autant de plaisir que de frustration.
Et le pari de Brian Eno est tenu : nous voilà en immersion totale dans un autre monde, un monde intérieur où le ciel crisse et les arbres nous murmurent des paroles inquiétantes. Où l'on fait aussi bien l'expérience du trop-plein que du vide.
Il faut dire que pour réaliser ce petit bijou, Eno ne s'est entouré que d'excellents musiciens, tels que John Cale ou Phil Collins (lequel était à la base un super batteur, ne l'oublions pas). Leur interprétation est impecc'.
Pourquoi 7 ? A cause des tubes pops un peu pâlots, et parce qu'Eno renouvelle la musique sans bouleverser nos petites habitudes. Parce que certains morceaux restent trop complaisants. Parce qu'il lui a manqué l'audace permettant de quitter définitivement le rivage de la pop et de voguer en solitaire (désolée, cet album me met toujours d'humeur à métaphoriser). Et parce que chaque morceau, aussi somptueux soit-il, m'a laissée sur ma faim.
Cela ne m'empêche pas de recommander chaudement "Another green world". Autant être honnête, j'adore Eno, et cet album est un bon point de départ pour faire découvrir son univers. Je crois néanmoins qu'il a fait plus fort, plus bouleversifiant vous voyez - et que la présente œuvre ne prépare que joliment le terrain au sublime Before and After Science, à mon avis plus abouti.